L’année 2018 qui s’achève s’est caractérisée par les extrêmes, la démesure et la surabondance : canicule, sécheresse prolongée, pluies et tempêtes dévastatrices mais aussi profusion de fruits et vendanges magnifiques. A Géronde, l’année s’est aussi profilée sous le signe de l’inattendu.
Les notes les plus fortes de l’inattendu retentirent à travers les décès subits de nos sœurs Marie-Benoît et Marie-Elisabeth, survenus, pour l’une le 25 janvier, et pour l’autre le 24 juin. Toutes deux, en dépit de leur mobilité réduite, ont participé à la prière de la communauté presque jusqu’au dernier jour. Chacune a rendu son dernier souffle à l’improviste alors qu’elle était à la veille de subir des investigations médicales qui suscitaient de l’inquiétude.
Sœur Marie-Benoît Bonvin, entrée au monastère en 1944, à dix-neuf ans, fut quasiment une des pierres de fondation de la communauté. Elle l’a aimée et l’a servie généreusement avec ses doigts de fée, sa profonde connaissance de la liturgie et de la tradition monastique et son fort ancrage dans la prière. Alors que sa mémoire avait de plus en plus de trous, son assiduité à la lecture s’est maintenue tout comme sa jeunesse d’âme et sa capacité d’émerveillement.
Sœur Marie-Elisabeth Gillioz frappa à la porte du monastère en 1959, après avoir enseigné dans les écoles primaires et exercé des responsabilités auprès des adolescentes dans l’Action catholique. Femme de foi, d’une grande ouverture d’esprit, sensible à la beauté de la création comme aux détresses du monde, elle donna sa pleine mesure au cours de ses dix dernières années quand, ployant sous le poids des infirmités, elle ouvrit toutes grandes les ailes de la prière.
Après son décès, à l’hôpital de Sierre, le dimanche 24 juin, on la ramena sans tarder au monastère car, dès le lundi matin, la petite route de Géronde allait être fermée à la circulation pour cause de travaux. Pour la messe des funérailles, c’est à pied, sous le grand soleil, que parents et amis ont gravi la colline.
D’autres le feront après eux, durant les cinq semaines que dura la reconstruction du mur de soutènement de la route fragilisé par les pluies de janvier, près de l’oratoire Sainte-Anne. Celui-ci abrita les cases postales des habitants de la colline. La communauté s’était organisée en vue de cette mise en quarantaine pour laquelle, le Père Giorgio Marcato, op, se porta volontaire. Il célébra l’Eucharistie, se mua en facteur pour nous et nos voisins, ne manquant jamais, au
passage, d’encourager les ouvriers assidus et compétents qui menèrent à bien la réfection prévue dans les délais prévus.
Tant que la date de ces travaux ne fut pas arrêtée, les préparatifs pour le Jubilé de notre Sœur Ursula, fixé au 2 mai, fête de la Dédicace, furent mis en veilleuse. Puis il fallut les accélérer, ce qui n’empêcha pas les invités de se trouver au rendez-vous de l’action de grâces qui fut présidée par notre Père Immédiat, Dom Jean-Marc, abbé d’Acey. Les trois jours qu’il passa à Géronde donnèrent de l’ampleur à la fête, préparée puis prolongée par des rencontres stimulantes.
Au début février, l’inattendu fit avancer de quelques mois la célébration du dixième anniversaire de notre entrée dans l’O.C.S.O. et nous permit de souffler les dix bougies avec notre abbé général, Dom Eamon Fitzgerald, accompagné de son secrétaire, frère Siméon, moine de Spencer. A travers les nouvelles partagées, ce sont de nombreuses communautés vivant de la même grâce et du même appel qui sont venues à notre rencontre.
Ce cadeau-surprise, annoncé presque à la dernière minute, faisait rejaillir sur nous une part de la fête d’ouverture du 750e anniversaire de l’abbaye de La Fille-Dieu, organisée le samedi 3 février et réservée aux cisterciens (nes) de Suisse Romande. Mère Miryam et plusieurs d’entre nous y avaient déjà rencontré Dom Eamon. Une autre délégation de Géronde s’y rendit pour la journée du 8 septembre, heureux temps de retrouvailles avec des frères et des sœurs venus, cette fois, surtout, de France voisine.
Faut-il le dire, l’allégresse de ces heures festives fleurit sur la terre souvent aride d’un quotidien rendu astreignant, pour la plupart des communautés, par le vieillissement, la diminution des effectifs et, pour certaines, par de lourdes épreuves.Ces situations furent au cœur des rencontres des responsables de communauté auxquelles Mère Miryam a participé : l’assemblée générale du SDC de Suisse Romande, tenue à l’abbaye d’Hauterive en avril, puis la Conférence régionale des abbés et abbesses cisterciens organisée chez nos sœurs du Val d’Igny, près de Reims.
L’inattendu frappa très fort le 9 mai, veille de l’Ascension : quelques 10’000 mètres cube de terre et de pierres se détachèrent d’un coup de la colline des Plantzettes, qui fait face à la nôtre, et recouvrirent une vigne à Sous-Géronde. En apprenant cela, certains, croyant qu’il s’agissait de notre colline, se sont inquiétés et ont pris des nouvelles. Le Conseil municipal, venu nous rendre visite le 29 mai, ne manqua pas de considérer longuement l’éboulement et son point de départ, susceptible de réserver encore des surprises. Mais, surtout, nos élus prirent du temps pour s’intéresser à l’aujourd’hui de notre communauté et pour nous dire leurs projets et leurs préoccupations pour la qualité du « vivre ensemble » à Sierre. Un objectif qui est aussi, comme on l’a rappelé, celui du monastère dans sa mission de veilleur.
Cette mission s’exerce envers les plus proches mais elle n’est pas circonscrite par la haute barrière des montagnes. Cela nous a été rappelé au cours de l’année par plusieurs visites d’évêques.
Alors que la ville de Bâle venait d’accueillir les participants à la Rencontre européenne de Taizé, Mgr Denis Theurillat, évêque auxiliaire de ce diocèse, nous livra le secret de ces journées : ce qui aimante, rayonne, ce sont des cœurs purs, proches du cœur de Dieu.
En mars, la présence à Géronde de Mgr Alain de Raemy, « l’évêque des jeunes » coïncidait avec la rencontre préparatoire au Synode sur les jeunes auquel il devait participer en octobre et vers lequel il orienta notre prière avec enthousiasme et conviction.
Quand Mgr Célestin-Marie Gaoua, évêque togolais, est venu avec notre ami commun, Don Franck Essi, retrouver le lieu de sa retraite d’ordination, la surabondance était au rendez-vous à travers sa présentation de séminaires et de noviciats florissants.Au jour de son anniversaire, le 14 juin, Son Eminence le Cardinal Schwery retrouva Géronde pour une fervente messe d’action de grâces suivie d’une rencontre chaleureuse où s’échangèrent souvenirs et mercis.
Une semaine plus tard, le Pape François était à Genève pour une visite à caractère œcuménique. De la messe que nous avons suivie devant l’écran de la TV, nous gardons trois paroles chargées de toute la surabondance de l’Evangile : Père, pain, pardon…
L’inattendu se manifesta le 15 août : pour la fête de Marie en son Assomption, patronne de toutes les églises cisterciennes et titulaire aussi de la cathédrale de Sion, notre évêque, Mgr Jean-Marie Lovey, vint concélébrer l’Eucharistie avec Mgr Bernard-Nicolas Aubertin, archevêque de Tours, présent à Géronde pour quelques jours. L’actualité de l’Eglise lui fournit, en surabondance, des sujets d’échanges propres à nourrir notre réflexion et notre prière.
Notre évêque était déjà venu au monastère le 19 février célébrer l’Eucharistie qui ouvrait sa visite dans notre secteur pastoral. Il revint le dimanche 4 novembre pour l’Eucharistie suivie d’une rencontre qui se prolongea au cours du repas partagé dans un climat de simplicité et de confiance. Les échanges portèrent sur la diaconie, le séminaire diocésain, la pastorale familiale, les débats actuels sur la fin de vie.
Nous lui disons notre admiration pleine de reconnaissance pour les prêtres de la région fidèles à venir célébrer à Géronde, au prix d’un réel dépassement en raison de leur âge avancé ou de leur ministère en paroisse.
Fort heureusement, ils sont moins sollicités quand reviennent pour des séjours plus ou moins longs nos « aumôniers temporaires » : le Père Henri Caldelari, msc, le Père Giorgio Marcato, op. , le Père Marie-Joseph Huguenin. Et souvent, nous pouvons expérimenter que Dieu pourvoit. Ainsi en fut-il pour la Semaine Sainte et les jours de Pâques, vécus cette année avec un jeune prêtre africain, étudiant à Rome, le Père Anicet Gnanvi, que l’on vit tout de suite à l’aise aussi bien dans la liturgie très particulière du Triduum pascal que dans les relations avec les hôtes et les habitués du monastère.
Venu pour la première fois en novembre 2017, le Père Philippe-Emmanuel Rausis, op, fut, pendant plus d’un mois, l’aumônier du printemps et donna plusieurs conférences sur l’itinéraire de sainte Marie-Madeleine, objet d’une miséricorde surabondante et choisie par Jésus comme messagère de sa Résurrection.
Pendant la deuxième quinzaine de juin, Mère Hildegard Brem, O. Cist. abbesse de Mariastern-Gwiggen (A), nous a fait découvrir un florilège de textes de saint Augustin et de saint Bernard choisis par sainte Gertrude pour former les jeunes sœurs de sa communauté. Un privilège puisque ce recueil n’a été reconnu que tout récemment comme venant de la grande mystique de Helfta et n’est pas encore publié en traduction française.
Alors que la route était fermée, nous mettant, en quelque sorte en retraite, l’Evangile fut grand ouvert pour lire avec le Père Giorgio l’enseignement de Jésus sur le Pain de vie donné par Dieu en surabondance.
La retraite annuelle fut prêchée en septembre par Dom André-Jean Demaugé, abbé émérite d’En-Calcat. Elle nous entraîna, à travers la Parole de Dieu et la tradition monastique, dans « une redécouverte de l’amour gratuit de Dieu qui fonde notre existence tant personnelle que communautaire ».
Cette année, encore, nous avons accueilli les témoins de l’amour inconditionnel et gratuit de Dieu que sont nos amis Jean et Lucette Alingrin, fondateurs de l’œuvre Emmanuel, toujours sur la brèche, à près de 90 ans, le cœur en alerte, sensible aux détresses et aux urgences de l’heure.
De même, le témoignage de l’abbé Edwin Marthe sur son cheminement improbable d’enfant défavorisé vers le sacerdoce fut une rencontre avec le Dieu des surprises, Maître de l’impossible.
Ces itinéraires où la gratuité de l’amour se déverse à flots aident sans doute à pressentir avec le maximum de justesse ce qu’est « La formule de Dieu » pour reprendre le titre du best-seller de José Rodrigues dos Santos. Notre amie Cécile Souchon décortiqua brillamment pour nous ces six cents pages de vulgarisation scientifique qui, nous dit-elle, en conclusion, « font réfléchir mais ne donnent aucune place à ce qui constitue le cœur de notre foi : l’Incarnation, la Résurrection, la Vie éternelle et la vaste perspective du Salut ».
A partir de septembre, la lecture au réfectoire des itinéraires des dix-neuf martyrs d’Algérie, et plus particulièrement de nos frères de Tibhirine, nous mit en présence de la démesure de l’amour qui se traduit en longue patience, en victoire sur la peur, en vies données jusqu’à l’extrême. Dans l’après-midi du 8 décembre, la cérémonie de leur béatification, suivie à la télévision, nous surprit au-delà de toute attente comme un cadeau de Dieu venu mettre en lumière un message et des exemples qui interpellent chacune de nos vies.
En cette fin d’année, l’inattendu guette nos hôtes. A la porte du monastère, ils rencontrent parfois non seulement Pascal-Marie, notre familière, mais aussi Emmanuelle. Leur présence ponctuelle devrait accorder un rythme de vie plus équilibré à nos sœurs mises à contribution pour l’accueil et souvent appelées à répondre à des appels téléphoniques lourds de souffrances confiées à la prière de la communauté.
Surprise également sur la toile : le site du monastère a fait peau neuve. Il s’est doté d’un service de vente en ligne et enrichi de nouvelles images grâce à l’amicale et généreuse complicité de Florence, photographe sierroise au talent reconnu.
Des compétences variées – couture, jardinage, mécanique, informatique, etc. – sont mises au service de la communauté, de manière bénévole, par des parents et amis, envers qui notre reconnaissance est grande.
Des travaux plus conséquents que les tâches ordinaires nous attendent en 2019. Ils concerneront l’église : une isolation thermique doit être posée sur la voûte et il est temps de remplacer le système de chauffage vieux de cinquante ans, obsolète et polluant. Les murs, noircis par ledit chauffage, seront repeints. La date d’ouverture du chantier n’est pas encore fixée.
Par contre une autre date s’est déjà inscrite sur notre calendrier : le 16 juin 2019, les supérieurs (es) des communautés de la Famille cistercienne fêteront à Cîteaux le 9e centenaire de la Charte de Charité. Ce texte fondateur est l’équivalent des Constitutions d’un Etat. Texte innovant, il se démarque du pouvoir centralisé de Cluny pour fonder un gouvernement fédéral d’abbayes autonomes étroitement unies par le lien de la charité. C’est l’expérience de cette charité mutuelle doublée d’entraide et vécue dans les joies comme dans les épreuves qui nous porte à célébrer ensemble cet anniversaire à Cîteaux même mais aussi dans chaque communauté. L’année nous offrira plus d’une occasion de réfléchir sur cet héritage et sur sa mise en œuvre aujourd’hui pour que nos communautés répondent à l’appel de Dieu et aux attentes des hommes et des femmes de ce temps.