Au fil des siècles, des générations de croyants ont entretenu à Géronde la flamme de la foi.
Le nom même de Géronde, lié à la proximité du lac, semble vouloir associer ce lieu à la quête immémoriale de la transcendance puisqu’il évoque très probablement une divinité celtique protectrice des lacs et des cours d’eaux, Nous ne saurons jamais quand cette quête a commencé.
Les premières traces humaines relevées sur la colline datent du Néolithique (de 5000 à 2300 av. J. C.). On y a décelé la présence d’un grand cimetière et les objets mis à jour permettent de penser que la continuité existe entre la préhistoire et l’époque romaine. Au cours de celle-ci, une ou plusieurs constructions importantes s’élèvent sur le site et deux des stèles funéraires retrouvées sont dédiées, l’une à un magistrat, l’autre à une dame de rang sénatorial[1].
La présence d’une agglomération relativement importante est également suggérée par les dimensions de la première église, édifiée à la fin du Vème siècle. Probablement construite en bois sur des bases maçonnées, remaniée au VIe siècle puis reconstruite au VIIe siècle, et, sans doute desservie pendant longtemps par des missionnaires itinérants, elle devient, dès avant le VIIIe siècle, un centre paroissial dédié à Saint Martin.
Au XIe siècle, une nouvelle église est construite, dotée d’un clocher et d’un bas-côté relié à la nef par cinq arcades. Elle traversera les siècles, tout comme le petit prieuré bâti à la même époque, qui constitue, aujourd’hui, le centre de l’aile nord du monastère. Des chanoines réguliers de l’abbaye d’Abondance, mentionnés pour la première fois en 1233, desservent la paroisse jusqu’en 1331, année de son transfert à Sierre où la population, désertant la colline, s’est progressivement déplacée. À cette date, la chartreuse du Reposoir, dans le Faucigny, essaime à Géronde. Les quelques murets, datant de l’époque, bases possibles d’un cloître, symbolisent bien l’existence sans avenir des chartreux pris dans la tourmente des guerres continuelles entre les seigneurs du voisinage. Quand celui qui les a pris sous sa protection est vaincu, leur insécurité est totale et ils quittent les lieux vers 1355-1356.
C’est en 1425 (1428), seulement, que des carmes prennent le relai[2]. Rattachés d’abord à la province de Narbonne, ils adhèrent en 1442 à la réforme de Mantoue connue pour sa ferveur. Grands bâtisseurs, ils allongent le prieuré du XIème siècle en direction du couchant et, à partir de là, construisent une aile qui rejoint l’angle nord-ouest de l’église. Ils édifient ensuite un chœur gothique plus grand que la nef romane. Mais, en même temps, ils reviennent, vers 1488, à leur première appartenance, et ce choix est le point de départ d’une longue décadence. En 1644, après de vains essais de réforme, l’évêque de Sion et la Diète leur demandent de s’en aller.
Ils laissent dans un état lamentable les lieux que leurs devanciers ont placés sous le beau vocable de « Notre-Dame de Géronde» mentionné dès 1433 pour désigner le couvent ; l’église, par contre, est encore nommée « Saint-Martin de Géronde » en 1450. Elle a très probablement été dédiée à Notre-Dame lors de la consécration du choeur gothique, vers 1500, car les jésuites, qui arrivent à Géronde en 1651, y trouvent un sanctuaire marial, lieu de pèlerinage réputé. Ils fondent un établissement scolaire qu’ils transfèrent en 1660, déjà, dans un lieu plus favorable à son développement. Après quelques décennies, au cours desquelles, Géronde n’a pas d’attribution durable, des jésuites sont associés, dès 1734, au projet d’y établir le séminaire diocésain. À partir de 1740, la maison est agrandie par une troisième aile et elle forme désormais avec l’église un quadrilatère dont la cour intérieure est entourée de galeries à arcades. En 1758, une voûte est posée au-dessus de la nef du XIe siècle, apportant à l’église une discrète touche baroque. Ouvert en 1748, le séminaire se transfère trente ans plus tard. à Sion où réside une partie du corps professoral.
Bientôt, Géronde subit les contrecoups de la Révolution française. En 1793-1794, la maison abrite des prêtres qui ont fui la Terreur. En 1798, les troupes françaises se livrent à une réquisition violente ; en 1799, elles saccagent tout… Les lieux font l’objet d’une remise en état sommaire, visant d’abord à rendre l’église au culte. Dès 1802, Dom Augustin de Lestrange veut envoyer à Géronde des cisterciens trappistes revenus de Russie et fait valoir les autorisations obtenues en 1795 pour les communautés qu’il a établies à Sembrancher et à Saint-Pierre-de-Clages. Les moines arrivent à la fin janvier 1804 mais tout les porte à repartir : les bâtiments sont inhabitables, les relations avec la population difficiles, la France veut annexer le Valais… À l’automne 1805, la maison est à nouveau vide. En 1807, elle devient, pour une douzaine d’années, une annexe du séminaire où les étudiants passent l’année préparatoire à l’ordination sacerdotale.
Bientôt, la Révolution de Juillet pousse à nouveau vers la Suisse des moines cisterciens trappistes. En 1817, Dom Eugène Huvelin, profès de Sept-Fons, a commencé à rassembler des frères à l’ancienne abbaye de Bellevaux. Après sa mort, la communauté, obtient de l’abbaye du Gard, issue de Darfeld, l’envoi d’un supérieur et de six moines et elle devient alors « trappiste ». Un mois après cet acte, daté du 7 juillet 1830, elle doit prendre le chemin de l’exil et arrive dans le canton de Fribourg à la mi-août 1830. Tolérée pendant quelques mois, puis rejetée, elle est invitée en Valais et se fixe à Géronde en juin 1831. A l’automne 1832, Dom Germain rappelle le prieur, Dom Stanislas Lapierre, pour le nommer coadjuteur à Saint-Sixte, maison-fille du Gard, née en 1831[3]. En mars 1833, le nouveau prieur, Dom Jérôme Verniolle, répond à une demande d’aide de Saint-Sixte en y envoyant deux novices[4]. Pour la communauté, l’exil se double d’une autre épreuve : elle est dépossédée de Bellevaux, aliéné au mépris de la parole donnée. Les moines hésitent à s’établir définitivement en Valais car les déplacements exigés par les corvées d’eau et par la culture de champs situés à bonne distance du monastère pèsent lourdement sur le quotidien. Il est alors question d’une fusion de Géronde avec Saint-Sixte ; mais le diocèse de Besançon tient aux moines et les aide à acquérir un lieu solitaire qu’ils nomment le Val-Sainte-Marie. Certains d’entre eux jugent le retour en France prématuré. Mais, à l’automne 1834, les graves inondations qui ravagent leurs cultures et anéantissent les récoltes provoquent leur départ[5]. En 1845, la communauté se transfère à la Grâce-Dieu et, en 1861, elle fait revivre Tamié. Les derniers frères de la Grâce-Dieu rejoindront cette communauté en 1909.
En 1870, les dominicains de la province de Lyon sont condamnés à l’exil. Malgré les conditions de vie difficiles qu’ils y trouvent, Géronde devient pour eux un havre de paix où ils restent jusqu’en juillet 1873.
En 1893 (1894), les sœurs de la Sainte-Croix d’Ingenbohl sont chargées par l’Etat du Valais de fonder à Géronde l’Institut cantonal pour les enfants sourds-muets. En 1910, l’Etat demande que l’établissement s’ouvre aux « enfants d’une intelligence insuffisante pour suivre les cours de l’école primaires». Devenue une grande famille qui va compter jusqu’à cent-dix personnes, dont une vingtaine d’adultes, la maisonnée vit à l’étroit. On sépare du chœur la nef baroque pour disposer d’une grande salle ; dans celle-ci, on créera ensuite une division horizontale pour se doter d’un nouveau dortoir. Si l’adduction d’eau, obtenue en 1898, assure l’approvisionnement en eau potable, elle ne couvre cependant pas d’autres besoins élémentaires. Les soeurs, les enfants et leur âne restent donc astreints à de constants va-et-vient entre la maison et le lac. Progressivement, l’on perçoit les effets des nuisances de l’usine d’aluminium de Chippis, fondée en 1908. Longtemps niées ou minimisées avant d’être bien avérées et reconnues, celles-amènent le transfert de l’Institut au Bouveret en 1929,.
Peu après, une famille religieuse longtemps présente à Géronde, voudrait y revenir mais Mgr Victor Bieler, évêque de Sion, demande aux Bernardines de Collombey d’y envoyer quelques sœurs. Il destine ce nouveau foyer de prière aux vocations qu’il s’attend à voir éclore dans le Valais germanophone dont Sierre, cité bilingue, est la port. Mais les candidates seront très majoritairement francophones et l’histoire de la communauté s’écrira en français…
[1] Cette première partie se base sur les études suivantes :
François-Olivier DUBUIS, L’église de Géronde, Sion, Vallesia, tome XXXII, 1977 ;
François-Olivier DUBUIS, Géronde Du presbytère sierrois au monastère des Bernardines : origine et développement des bâtiments d’habitation, Sion, Vallesia, tome XXXVIII, 1983 ;
François-Olivier DUBUIS, L’archéologie en aide à l’histoire : Le monastère de Géronde, VS, dans Archéologie suisse, 5-1982, p. 161-165.
François HUOT, osb, Le destin religieux de la colline de Géronde, Sion, Annales valaisannes, 2003.
HELVETIA SACRA, Berne Francke Verlag, pour chacun des ordres religieux mentionnés.
[2] L’acte de fondation est signé en 1425, les carmes arrivent en 1428.
[3] P. Alfons VANDEN BROUCKE ocso, Abbaye de Saint-Sixte/Westvleteren Histoire de la fondation, 1826-1831-1830, Saint-Sixte, 2000, p. 31-33.
Dom Stanislas, élu abbé du Gard en 1835, transfère la communauté à Sept-Fons en 1845. id. p. 89.
[4] Les frères Victor Cintron et Augustin Moreau, prêtre, qui sera prieur au Mont des Cats, puis reviendra au Gard. Géronde les envoie « avec tout le contenu de la caisse… ne gardant que 300 francs » et « avec tout ce dont ils avaient besoin jusques et y compris leur paillasse et leur couvert ». ibid. p. 32-33 et 90. HELVETIA SACRA ne parle pas de Saint-Sixte.
[5] Le 10 novembre 1834, le frère Maurice, sous-prieur, écrit au secrétaire de l’évêché de Sion : « Notre R.P. Prieur en partant m’a chargé de solliciter auprès de Sa Grandeur, Monseigneur, la permission de rompre le cachet qu’elle a imposé sur les reliques de St Pierre de Tarentaise, lors de notre arrivée à Géronde et de les transporter avec nous ». Arch. Ev. Sion 377/49. Au moment de la Révolution, les reliques du saint fondateur de Tamié, conservées à Bellevaux où il mourut, furent cachées par des habitants de Cirey. Récupérées ensuite par les moines, elles prirent, à travers l’exil et les transferts, le chemin de Tamié.