Le chemin de vie tracé par nos devanciers dans la vie monastique, et plus particulièrement par saint Benoît de Nursie(VIe s.) et par ses disciples qui fondèrent Cîteaux (1098), inscrit dans le quotidien de la communauté la loi suprême qu’est l’Evangile. Eux-mêmes, tout comme les pères et mères spirituels qu’ils ont inspirés au fil des siècles, ne visent qu’à conduire à Jésus-Christ, Chemin, Vérité, Vie, à s’effacer devant Lui.
Des guides, des témoins
La communauté de Géronde se situe à l’intérieur du mouvement monastique qui façonne sa vie aussi bien dans ses aspects extérieurs que dans sa dimension la plus cachée.
Dans toutes les grandes traditions religieuses, des hommes et des femmes en quête de Dieu se sentent appelés à suivre la voie monastique. Quand Dieu se donne et se révèle en Jésus Christ, celui-ci se présente tout à la fois comme le chemin et le lieu de la rencontre avec le Père, dans l’Esprit. Parmi ses disciples, certains, hommes et femmes, partagent sa vie de tous les jours, associés à l’annonce du Royaume, attirés dans son mystérieux dialogue avec le Père. Dès les débuts de l’Eglise, des chrétiens, sans quitter leur domicile, se mettent à vivre les grands choix qui caractérisent la vie monastique: célibat, solitude plus ou moins grande, austérité de vie, prière assidue.
Ce mouvement s’amplifie et s’affirme au IIIe siècle, prenant forme dans la vie solitaire et dans des communautés. Un terme s’impose pour désigner ceux qui suivent cette voie : monachos/moine. Son sens primitif, célibataire, s’efface devant de nouvelles significations : un ou solitaire ou encore un, unifié dans tout son être. En Orient, de
grands moines ouvrent des voies: saint Antoine, saint Pacôme, saint Basile. Leurs exemples et leurs enseignements continuent d’inspirer le monachisme tout comme les exemples des moines d’Egypte rapportés en Occident par Jean Cassien. En Occident, les figures marquantes ne manquent pas : saint Martin de Tours, saint Honorat, saint Colomban, sans oublier saint Augustin, maître de la vie fraternelle en communauté. Mais le monachisme occidental se réclame avant tout de saint Benoît et de sa Règle.
Saint Benoît de Nursie
Parti dans la solitude pour chercher Dieu, puis appelé à guider des communautés, saint Benoît de Nursie (v. 480- v. 547) intègre ce qu’il a appris de ses devanciers à sa propre expérience. Il transmet celle-ci dans une oeuvre originale, marquée par son génie et sa sainteté : la Règle des monastères. La Règle est présentée comme un itinéraire de retour à Dieu dont l’humanité s’est éloignée par le péché. Texte dynamique donc, tout orienté vers les sommets de la charité à laquelle saint Benoît veut conduire. Mais tout commence par une attitude de vérité sur soi, d’humilité, et l’ajustement progressif à Dieu se fait par l’obéissance née de l’écoute de la Parole et concrétisée dans la vie commune menée sous la conduite d’un abbé. Voie étroite au commencement, mais à mesure que l’on progresse, le cœur se dilate et la douceur de l’amour l’envahit. La relation à Dieu ne va pas sans la relation aux frères ou aux sœurs. Le mot « ensemble » tient une place importante dans la Règle et le disciple de saint Benoît apprend à reconnaître le Christ en tous ceux qui vivent à ses côtés et en tous ceux qui se présentent au monastère. Dans ses injonctions, saint Benoît pose un certain nombre d’absolus : ne rien préférer à l’amour du Christ, ne rien faire passer avant l’Oeuvre de Dieu (prière liturgique), ne jamais se départir de la charité…. Mais sur d’autres points, il laisse la porte ouverte à des adaptations inspirées par l’attention aux personnes et la prise en compte de la situation du monastère. Ce qu’il présente comme une petite règle écrite pour des débutants s’est affirmé au cours des siècles et, aujourd’hui, sur tous les continents, comme un grand texte spirituel dont la capacité de durer tient sans doute à sa discrétion. Pour saint Benoît, celle-ci n’est pas l’expression d’un certain bon sens ou d’un parti pris de modération ; non, il s’agit d’un discernement lié à l’action de l’Esprit Saint qui permet d’ajuster les exigences de la Règle aux personnes et aux situations concrètes.
Le contenu de la Règle de saint Benoît se révèle à travers la vie d’une communauté, au quotidien, à travers l’accueil au monastère, à travers la vie et les enseignements de ses disciples. A la découverte de la Règle, il importe d’ajouter la lecture de la Vie de saint Benoît écrite par saint Grégoire le Grand.
Il est possible de lire la Règle de saint Benoît sur le site http://www.ocso.org. Un commentaire suivi de la Règle est proposé par l’abbaye de Timadeuc (http://www.abbaye-timadeuc.fr). Le site (http://www.arccis.fr ) propose le texte de la Règle et des commentaires. On peut trouver la Vie de saint Benoît sur le site de l’abbaye Saint-Benoît de Port-Valais (http://www.abbaye-saint-benoit.ch).
Après la mort de saint Benoît, les monastères qu’il a fondés sont détruits par les Barbares. Mais sa Règle s’impose progressivement comme un sûr chemin de vie évangélique. Au VIIIe siècle, la réforme de saint Benoît d’Aniane, liée au mouvement centralisateur de l’ère carolingienne, en fait la Règle unique pour tous les monastères de l’empire. La fondation de l’abbaye de Cluny en 909 est un fruit de ce mouvement. Cluny et, à sa suite, beaucoup d’autres abbayes savent reprendre leur indépendance vis-à-vis du pouvoir civil. Elles obéissent seulement au Saint-Siège. Ces abbayes vont former un Ordre dont Cluny prendra la tête. Mais Cluny s’enrichit, le travail manuel disparaît, la liturgie se développe au détriment de la lectio divina, le mode de vie perd sa simplicité. Cette évolution appelle une réaction. « A la fin du XIe siècle, l’Eglise connaît une période de bouillonnement, un tournant de son histoire. Les instances romaines ont entrepris une grande réforme morale et politique, la « réforme grégorienne » afin d’assainir les mœurs du clergé et d’affirmer son indépendance face au pouvoir civil.
Par ailleurs, de nombreux clercs et moines tentent de s’enraciner plus profondément dans leur recherche de Dieu, en menant la vie érémitique. Certains resteront seuls, d’autres attireront des disciples. Ainsi des communautés naissent, certaines vouées à disparaître très vite, d’autres appelées à durer » C’est dans ce contexte que des moines bénédictins animés par le désir de mener une vie plus conforme à la Règle de saint Benoît fondent l’abbaye de Cîteaux.
Cîteaux
Le 21 mars 1098, Robert, abbé de Molesmes, au diocèse de Langres, quitte son monastère avec une vingtaine de moines pour aller s’établir en un lieu solitaire, situé au sud de Dijon : Cîteaux, en latin Cistercium d’où vient leur nom Cisterciens. Ils veulent « suivre pauvres le Christ pauvre » (Petit Exorde de Cîteaux, 12,8). Ils estiment que la manière de vivre de leur communauté ne leur permet pas d’être fidèles à la Règle de Saint Benoît. Ils décident de vivre de leur travail, dans la solitude et la pauvreté. Cette simplicité que l’on retrouve non seulement dans les bâtiments et le style de vie, mais aussi dans la liturgie et la spiritualité, va rester la caractéristique de la vie cistercienne. Ce dépouillement extérieur se veut au service de l’intériorité.
Après des années difficiles, l’arrivée de saint Bernard de Clairvaux, en 1112, marque un tournant. Souvent présenté, à tort, comme le fondateur de Cîteaux, Bernard est le maître spirituel « chez qui tous les éléments de la spiritualité cistercienne se trouvent réunis dans une doctrine et dans une expérience personnelle que lui seul a su communiquer dans un langage aussi riche et varié. Son influence sur l’évolution ultérieure de la spiritualité cistercienne a été décisive et s’étend sur tous les siècles jusque dans notre temps ». (E. Mikkers, Dictionnaire de Spiritualité, t. XIII, art. Robert de Molesmes /Les Cisterciens, col. 743.).
Cette spiritualité approfondit et développe la visée foncière de la Règle de saint Benoît : la recherche de Dieu. Elle est fondée sur le thème, central dans la Bible et chez les Pères de l’Eglise, de l’homme créé à l’image de Dieu. La personne humaine qui, par le péché, a perdu la ressemblance avec Dieu, est appelée à la retrouver. Puisque « Dieu est amour » (1 Jn 4, 6) elle le connaît, elle s’unit à lui, elle lui ressemble, en aimant. Ce retour à Dieu s’accomplit dans le Christ : l’attachement à la personne de Jésus, Verbe incarné, la conformation à ses mystères à travers une vie simple, pauvre et laborieuse en vue de le connaître un jour dans sa gloire de Verbe invisible, Fils unique du Père, telle est la voie cistercienne. La Vierge Marie, Mère du Verbe, veille sur ce cheminement et forme le Christ en chacun de ses enfants.
Dès le XIIe siècle, des monastères cisterciens sont fondés dans toute l’Europe. Leurs liens sont définis par un texte à la fois spirituel et juridique, rédigé par saint Etienne Harding, troisième abbé de Cîteaux : la Charte de Charité.
De 1098 à aujourd’hui, la vie cistercienne connaît bien des vicissitudes : incidence de la politique sur la vie des communautés et sur l’unité de l’Ordre, baisse de ferveur. Au cours des siècles des congrégations nationales se forment, des réformes suscitent un nouvel élan, non sans créer des divergences, voire même des scissions.
La transmission de la vie cistercienne à Géronde passe par l’une de ces réformes réalisée au XVIIe siècle en Savoie par la Mère Louyse de Ballon et ses sœurs, moniales de l’abbaye, Sainte-Catherine du Semnoz, près d’Annecy. « Remarquable réformatrice, Louyse de Ballon cultiva surtout l’esprit de simplicité, d’intériorité, de pauvreté, de prière et de séparation du monde.» (E. Mikkers, Dictionnaire de Spiritualité, t. XIII, Beauchesne, 1988, art. Robert de Molesmes /Les Cisterciens, col. 743.). alliant le souci de fidélité aux origines cistercienne à celui de l’adaptation à son temps, ceci surtout au niveau des accents et du langage. Son expérience spirituelle, nourrie par la doctrine de saint Bernard et transmise dans ses écrits, continue d’éclairer la route de la communauté de Géronde. Au niveau juridique, son œuvre de réformatrice aboutit à une rupture avec l’Ordre de Citeaux de par la volonté de l’évêque de Grenoble.
Mais la réforme la plus célèbre est celle qui au XVIIe siècle, se propage à partir de l’abbaye de la Trappe, ramenée à la ferveur par l’abbé de Rancé. La vigueur spirituelle de cette communauté joue un rôle décisif au moment de la Révolution française. C’est le maître des novices de la Trappe, dom Augustin de Lestrange, qui s’exile en Suisse puis conduit moines et moniales jusqu’en Russie et sauve l’Ordre par-delà la bourrasque révolutionnaire. De cette courageuse aventure naissent les monastères qui constituent aujourd’hui l’Ordre cistercien de la stricte observance (OCSO http:/www.ocso.org) dont la communauté de Géronde est devenue membre en 2008.