Campé sur une colline aux versants abrupts, visible de loin à la ronde, le monastère fait signe…
Signe de contradiction, comme Jésus-Christ qui est sa vie, il est qualifié par certains de lieu d’enfermement, de refuge pour ceux qui ont peur de la vie; d’autres le saluent comme un phare dans la nuit, une oasis de paix ou encore comme le paratonnerre du Valais ! Fréquente, l’appellation ne passe pas si elle connote l’idée d’un Dieu porté à sévir et qu’il faudrait apaiser. Elle sonne juste si elle veut dire que la communauté monastique, attirée par le Christ au désert, s’engage avec lui dans le combat de la prière pour lutter contre les forces de haine et de mort. L’appellation sonne juste encore si elle assigne au paratonnerre du Valais la mission d’attirer le feu venu du ciel au jour de Pentecôte, l’ardeur brûlante de l’Esprit d’amour, si elle voit la communauté comme Marie et les apôtres au Cénacle, persévérant dans la prière pour que vienne l’Esprit.
Prier n’est pas une faveur réservée en exclusivité à quelques privilégiés. Non, Dieu appelle chacun à le rencontrer dans la prière ! Alors, pourquoi cette visibilité du monastère? Pourquoi cet habitat très particulier? Pour faire signe! A ceux qui le voient de l’extérieur, il suggère qu’eux aussi sont travaillés par une aspiration à l’infini, invités au dialogue avec leur Dieu et Père. Pour celles qui vivent à l’intérieur, il en va de la maison comme de l’habit. Ni l’un ni l’autre ne font le moine ou la moniale; pourtant tous deux contribuent à l’ajustement de toute l’existence au choix profond du cœur : chercher Dieu.
Tout comme les règles de vie, les écrits spirituels, les livres liturgiques, l’architecture, à sa manière, exprime le projet de vie et favorise sa mise en œuvre. Dans cette perspective, les premiers cisterciens ont élaboré un plan-type mais ils l’ont toujours adapté aux conditions concrètes de leurs divers lieux d’implantation. L’histoire a aussi amené des communautés à s’établir dans des bâtiments d’origines diverses. C’est le cas de Géronde: à leur arrivée, en 1935, les fondatrices de la communauté ont trouvé une maison construite par étapes et adaptée, tant bien que mal, à ses affectations successives. Avec leurs modestes ressources, elles ont cherché à l’aménager au mieux pour y vivre leur vocation. Après l’incendie du 1er mai 1980, un vaste mouvement de solidarité permit de restaurer le monastère. Celui-ci fut consolidé, assaini, mieux isolé; un deuxième étage remplaça les combles mansardés que le feu avait détruits. Le bâtiment situé au sud de l’église fut allongé de manière à pouvoir abriter une partie des ateliers et les caves à vin.
Comparé aux vastes bâtiments que la plupart des communautés ont hérité du passé, le monastère est petit. On ne le visite pas. Hôtes et passants ont accès aux locaux de l’accueil et à l’église.
Lieu de l’Eucharistie, de la prière des heures, de l’adoration silencieuse, l’église est le cœur du monastère. Elle rayonne, aimante, rassemble.
Mais, du point de vue de l’architecture et de la fréquence des allées et venues, le centre du monastère est le cloître. A Géronde, cet élément caractéristique d’un monastère n’a pas été prévu. Mais il a fini par se trouver là ! Au XVIIIe siècle, une aile fut ajoutée aux bâtiments antérieurs et l’ensemble forma enfin un quadrilatère. Pour relier entre eux les divers locaux, on édifia devant les façades intérieures, sur trois côtés, au rez-de-chaussée et à l’étage, des galeries à arcades, voûtées. Le quatrième côté, celui de l’église, attendit jusqu’en 1965. A cette date, la communauté qui, depuis trente ans, montait à la tribune pour la prière, établit le chœur monastique dans la nef de l’église. Pour pouvoir s’y rendre, de divers lieux, par une voie directe, on édifia une galerie le long du mur de l’église. Le cloître était là, autour d’un espace central trop petit pour mériter le nom de préau mais assez grand pour ouvrir la maison à la lumière et pour s’orner de quelques arbustes.
Le cloître relie, au sens le plus immédiatement fonctionnel et pratique mais aussi au sens spirituel. Il relie à l’église tous les lieux et toutes les activités. Il les relie entre elles signifiant qu’une même vie les anime. Lieu de passage, le cloître peut se transformer en lieu de prière et de méditation: fermé au monde extérieur et à ses bruits, ouvert sur le ciel, il suggère le mystère de la personne habitée par son Dieu qui l’invite à la rencontre au plus intime de son être.
Le seul élément décoratif du cloître est la verrière de l’aile sud. Dans la foulée de la pose des vitraux de l’église, ses dix panneaux furent montés dans la grange par un verrier avec la collaboration de quelques soeurs. Reprenant les thèmes du quatrième vitrail de l’église, cette paroi de verre veut suggérer, toujours à partir des derniers chapitres de l’Apocalypse, le mystère de l’Eglise. Debout au centre de la partie supérieure de la verrière, Marie y apparaît comme une figure de proue ou une première de cordée dans l’aventure de la foi, saluée et priée sous le vocable de Notre-Dame du Risque.
L’aile nord du cloître longe un mur à pierres vues datant du XIe siècle. C’est la façade sud du prieuré des chanoines réguliers de l’abbaye d’Abondance qui desservaient alors la paroisse de Géronde. Sur ce mur gris, une élégante fenêtre à accolade, typique du XVe siècle, inscrit, en rose, le souvenir des carmes. Dissimulée et condamnée à n’être qu’un simple placard, elle a été découverte en 1980. Son bel encadrement met désormais en valeur une statue de saint Joseph. La porte qui s’ouvre dans l’austère façade a vu passer, depuis le XIe siècle, tous les habitants de la maison ; elle donne accès au réfectoire.
Le réfectoire de la communauté occupe toute la surface du petit logis des chanoines construit au XIe siècle.
Comme dans le plan-type cistercien, le réfectoire est parallèle à la nef de l’église. D’une certaine manière, il lui fait écho. Après avoir reçu, à l’église, le Pain de vie, la communauté partage, au réfectoire, sa nourriture quotidienne. La Parole de Dieu est proclamée pendant la liturgie; au cours des repas, pris en silence, une lecture nourrit les esprits et les coeurs. Lieu de partage, de service mutuel, où l’on se retrouve ensemble à heures régulières, la table commune exprime la vie fraternelle et la favorise.
Sur ce lieu veille Notre-Dame de Grâce, représentation de Marie liée aux apparitions de Cotignac, dans le Var. Donnée aux Bernardines de Rumilly, cette Vierge à l’Enfant poursuit son parcours cistercien en séjournant à Tamié, puis à Boquen, avant de retrouver, à Géronde, les filles de Louyse de Ballon…
Le chapitre ou salle du chapitre est également l’un des lieux où se construit la communauté. Alors que le plan-type le situe au rez-de-chaussée, à Géronde, il a fallu lui trouver un espace au premier étage où il se présente comme la « chambre haute » du monastère.
Le chapitre est d’abord le lieu où la communauté se rassemble pour écouter l’enseignement donné par l’abbesse, ou la prieure, dans le cas de Géronde qui est un prieuré majeur. Il commence par la lecture d’un chapitre de la Règle de saint Benoît. A partir de là, le nom de chapitre a été donné à l’enseignement lui-même, puis à la salle et aussi à d’autres actes communautaires qui s’y déroulent. Ainsi, la communauté s’y rassemble pour délibérer sur ce qui fait sa vie, prendre des décisions, admettre une candidate, procéder à une élection. Chacun de ces actes se nomme chapitre et les soeurs engagées définitivement dans la communauté constituent ensemble le chapitre conventuel.
Les cellules occupent une partie du deuxième étage. La cellule est le lieu du repos. Retrouvée aux heures de la nuit favorables à la prière, elle peut se prêter également à la lectio divina. Ses dimensions incitent à la présenter comme une petite chambre.
Mais une chambre, même toute petite, n’est pas une cellule! Celle-ci se caractérise par son dépouillement: mobilier limité au minimum, un crucifix, une Bible, une icône.
Le noviciat, situé dans la partie la plus silencieuse du monastère, se veut prêt à accueillir celles que l’amour du Christ pourrait conduire à Géronde.
Et ailleurs ?
Le cloître, le chapitre, les cellules sont des lieux propres à la vie monastique mais ils ne disent pas tout le quotidien de la maison. Les divers services – cuisine, lingerie, buanderie, infirmerie, secrétariat, bibliothèque, etc. – y ont leur place. Ils sont aménagés simplement tout comme les ateliers – hosties, couture, broderie – et les locaux réservés à l’accueil.