- Allier prière et travail
La maîtresse que j’avais à Sainte Catherine me provoqua un jour à éprouver qui de nous deux aurait plutôt achevé l’ouvrage que nous avions en main. Comme ce fut moi durant plusieurs jours, elle en était dans un grand étonnement, attendu, disait-elle, que je faisais l’oraison et mes lectures de piété, que j’étais assez longtemps à dire mon chapelet, etc…, et qu’elle n’en prenait pas tant pour vaquer à Dieu.
Toutefois, bien que j’aimasse fort à travailler, je quittais tout là, sitôt que l’heure de mes exercices spirituels était venue. A la vérité, mon inclination en était mortifiée, mais afin de m’animer davantage à cette promptitude, je me représentais que le service intérieur de Dieu était une occupation bien plus relevée et plus importante que l’action extérieure du travail.
De là venait que, tant que je pouvais, je joignais l’application de l’esprit au travail des mains. Ainsi, par exemple, lorsque je filais, je m’occupais de la pensée de la Très Sainte Trinité, en faisant, à son honneur, trois fusées que j’unissais après que je les avais achevées au bout de mon fuseau, quand elles ne le rendaient pas trop pesant pour en faire d’autres. Cette union me représentait que ces trois Personnes divines ne sont qu’un même Dieu, à cause qu’elles ont toutes la même nature, comme mes fusées étaient faites d’un même chanvre.
Quand je faisais séparément la première et la troisième, je m’entretenais mentalement avec le Père et le Saint-Esprit de leurs perfections particulières, mais quand je faisais la seconde, le Fils m’arrêtait davantage, à cause de son humanité que j’aimais fort. Puis, quand je les unissais toutes trois, je concevais le désir de pouvoir unir à son divin Cœur tous les cœurs des hommes.
Traité I, IV, I- II – ES I, p.17-18
- 2. Véritable en tout
J’ai toujours eu en horreur le mensonge et j’ai eu tant de soin de m’en abstenir, même dès mon bas âge que je ne me souviens pas d’en avoir jamais dit qu’un seul (sic), encore fut-ce par surprise. (…)
Mais si je ne suis pas mensongère dans mes paroles, je le suis dans mes actions. Je vis même un jour que j’étais toute mensonge, pour être tout autre au-dedans que je ne parais au-dehors. Je n’avais jamais cru, ni même pensé jusqu’alors que je fusse une mensongère, et de cette sorte.
J’avais un soin particulier d’inculquer aux jeunes pensionnaires qui étaient sous ma conduite à Sainte-Catherine qu’elles fussent véritables en toutes choses. Pour les y porter davantage, quand elles avaient fait quelque faute et qu’elles m’avouaient la vérité, je ne les en châtiais pas, mais je me contentais de leur faire entendre que c’était pour cela même que je les épargnais.
Traité I, IV,I – V,V – ES I, p.19-20
- C’est principalement le cœur que j’ai regardé…
Je me suis rendue l’ennemie de moi-même pour me rendre l’amante de mes ennemies et c’est principalement le cœur que j’ai regardé car, pour l’extérieur, on le réforme assez aisément mais, pour l’intérieur, si l’on n’y prend garde de fort près, il s’y conserve imperceptiblement des aigreurs et des amertumes qui nous donnent sujet de nous dire intérieurement : ”Tu n’aimes pas ton prochain comme toi-même.” Cependant, c’est là qu’il est de la dernière importance de ne rien laisser d’amer, en tant que c’est proprement dans le cœur que Dieu veut prendre sa place, qu’il veut faire sa demeure, – non comme serviteur ou sujet, mais en Maître et en Souverain – et que c’est là même que toutes ses perfections viennent avec lui.
Traité I, VI, VIII, – ES I, p.1
4.
L’obéissance au Saint-Esprit, de quel prix n’est-elle pas ? Il m’a fait souvent voir qu’un petit acte d’humilité, comme l’accusation d’une légère pensée, d’une imagination passagère, lui ravit, pour parler ainsi, le cœur. Ces paroles du Cantique me sont alors venues dans l’esprit : ” Vous avez blessé mon cœur, mon Epouse, avec un de vos cheveux” (Ct 4,9), c’est à-dire avec peu de chose. En effet, j’ai quelquefois marché dans le monastère, avec une complaisance de mon âme en Dieu, comme si je lui eusse ravi le cœur. Et je disais : “Vous êtes tout mien et je ne suis plus mienne”. (…)
O mon Dieu, nous ne devrions jamais avoir d’autre cœur que le vôtre ! Et nous devrions toujours tenir le nôtre en état de mort, afin que le vôtre seul y fût en vie
Traité II, III-VI- ES I p. 53
5.
O mon Dieu, que ce cœur mérite bien qu’on en ait soin ! C’est là que votre bonté m’a le plus arrêtée et qu’elle m’a fait le plus appliquer, pour rendre mon cœur tout vôtre.
Traité II, V-VI – ES I, p. 62
6.
J’avais un cœur libre pour le prochain, sans murmure, sans contestation, sans jalousie, j’étais liée d’un lien de liberté qui rejetait tout ce qui m’eût pu détacher et séparer de Dieu.
Traité III, I, IV – ES, I p.66
- Ces amitiés où l’on s’aime pour l’éternité…
A la vérité, j’aime autant qu’il se peut et je ne saurais approuver qu’on ne s’entr’aime pas. Lorsque je vois des personnes sans amitié, cela me paraît une grande dureté, pour ne pas dire une grande cruauté. Et je voudrais pouvoir donner de l’affection à ceux qui en manquent. Je crois certainement que Dieu veut que nous nous entr’aimions et que ce soit même tendrement, mais pourtant sans flatterie et non jusqu’à nous cacher ou dissimuler les uns les autres nos imperfections, jusqu’à en commettre par condescendance. Oh que cela est dangereux ! Gardez-nous, mon Dieu de telles amitiés. La véritable consiste à avertir les autres de leurs manquements, comme nous nous avertissons nous-mêmes des nôtres (…) O vraie et parfaite amitié que celle-là ! La grâce divine en est la source et la cause. Elle fait qu’on s’avertit réciproquement de ses fautes, par un mouvement de charité, sans aigreur ni amertume. Et Dieu n’est-il pas là ? O mon Seigneur, comme vous m’avez fait éviter les amitiés dangereuses, vous m’avez, en échange, d’autant plus fait estimer celles-ci.
Je vois manifestement qu’il est nécessaire de s’entr’aimer, pour s’aider mutuellement à supporter beaucoup de misères à quoi notre vie est assujettie. Si vous ne le trouviez pas bon, je vous dirais, mon Seigneur, qu’il est vrai que, tandis que vous étiez en ce monde, vous en (sic) avez plus aimé les uns que les autres, quand ce ne serait que celui qui se donne lui-même la qualité de disciple bien-aimé, comme celle qui le distingue de tous les autres. Mais, dans une communauté, tout doit être uniforme et égal à l’extérieur, sans nul témoignage de préférence d’une sœur à une autre. Je ne dissimulerai pas pourtant ici qu’il coûte toujours beaucoup d’affliction quand quelques-unes des personnes que je chéris viennent à mourir ou seulement à être malades. Et, quand elles tombent dans quelques fautes, j’en ressens autant de peine que si je les avais faites moi-même…
Ainsi, j’appris à estimer ces amitiés où l’on entr’aime, et s’entr’aime pour l’éternité.
Traité II, V, I-II- ES I, p.58-60
- Agir par l’Esprit de Dieu…
Quand est-ce donc qu’un esprit est bon ? C’est quand il connaît qu’il faut agir par l’Esprit de Dieu lequel est le seul esprit véritablement et parfaitement bon.
(…) Combien de preuves m’avez-vous données, Seigneur, de cette vérité ? Car, combien de fois m’est-il arrivé, qu’étant allée avec suffisance et amertume vers des soeurs qui avaient fait quelques fautes, pour leur en faire la correction, je leur parlais tout autrement que je n’avais prémédité. D’où venait ce changement ? Sinon de ce que, par un trait tout particulier de votre miséricorde pour moi, vous anéantissiez cette hauteur et cette aigreur de mon esprit, en ce sens que vous preniez ma place et que vous parliez pour moi. Comme si vous m’aviez dit : ”Encore que tu ne penses pas à moi, je ne cesse pas de travailler pour toi”. Ah que dans ces sortes de surprises où vous agissez vous-même, les personnes qu’elles regardent profitent extraordinairement et que cela fait voir que vous êtes un habile maître et un excellent ouvrier. C’est pourquoi, si on suivait mon avis, chacun vous laisserait faire. Tous les chrétiens se tiendraient dans la mort spirituelle à eux-mêmes afin de vous laisser agir plus librement. Et alors on verrait l’Esprit de Jésus-Christ répandu par toute la terre, cet esprit qui doit être le nôtre. (…)
Traité III, III, – ES I. p.74
9… comme d’autres Jésus-Christ
Oui, mon Seigneur (…) j’ai compris que, dès qu’une personne en est venue à se tenir dans cette heureuse mort à elle-même, elle porte en elle votre mort, que votre Père céleste vous regarde en elle, qu’il ne la regarde pas comme une créature morte à elle-même, mais comme une créature où est la vraie image de son Fils, par sa mort qu’il voit en elle.
Oh combien cette mort est-elle ennoblie d’être consommée dans la mort, comme transformée dans la mort de Jésus-Christ ! Oui, nous laissons notre mort et nous portons la sienne. Qui ne voudra porter cette heureuse, cette glorieuse, cette divine mort ?
Or, comme le Saint-Esprit est l’Esprit commun du Père et du Fils, il ne faut pas s’étonner s’il agit par cette créature. (…) Car le Père regarde son Fils en elle, il la voit dans son même Fils, en tant qu’il voit en lui tout ce qui lui est uni et conforme. Quel plus grand bonheur que d’être ainsi regardé du Père, de paraître à ses yeux divins, comme d’autres Jésus-Christ, en tant que nous portons sa mort en nous.(…)
Que nous regardions donc toujours, aimable Jésus, notre mort dans la vôtre, afin que votre divin Père nous regarde toujours en vous-même. Pour moi, je suis si redevable à votre sainte Humanité ; elle m’a tant favorisée, et en tant de manières, que je ne la devrais jamais perdre de vue. Mon Dieu, mon Souverain et mon Tout, que je sois vôtre !
Traité III, II, IV – ES I p. 75-76
- Mon “divin milieu”
Deux choses, principalement, sont nécessaires pour veiller sur notre fragilité afin de ne pas tomber dans des fautes volontaires. L’une est la vue et la considération de notre misère; l’autre, l’usage et l’emploi d’elle-même pour aller à Dieu, en nous en servant tout ensemble comme de motif et de moyen. (…)
Notre Seigneur m’ayant fait connaître qu’il veut être mon milieu entre moi et ma fragilité – quoique, dans le fond, ma fragilité ne soit autre chose que moi-même – il m’a donné à entendre, en même temps, que quand cette fragilité voudra faire couler en moi quelque défaut, il se trouvera là pour l’en empêcher. En voici quelque effet. Je vois, par exemple, venir de loin ou de près, un mouvement de vaine joie ou de chagrin, je jette d’abord un regard sur mon divin milieu ; et, par ce regard qui est un regard de foi, je vois que c’est Jésus, et non moi, qui dissipe et fait évanouir ce mouvement.
C’est ce qui me fait ajouter que la présence de Jésus est si intime et si présente, pour ainsi dire, à nos âmes, qu’il semble que c’est lui-même qui agit et non pas nous qui agissons.
Traité II, VIII, I-II – ES I, p.93-94
- Au parloir
Allant au parloir, je me suis offerte et abandonnée à Notre Seigneur conversant avec les hommes et, le regardant en simplicité d’esprit, j’ai souhaité qu’il se communiquât et s’appliquât aux personnes qui m’y demandaient, qu’il se répandît entièrement lui-même dans elles et que je demeurasse, à leur égard, toute anéantie en Dieu.
Traité II, IX, I II – ES I, p.97
- O mon Dieu, si on savait…
Notre Seigneur prend pour soi les actions que nous faisons en son nom; et dans le ciel, nous verrons ce petit acte de charité que nous aurons fait en faveur du prochain, cette parole douce ou consolante que nous lui aurons dite, cette action humble que nous aurons faite. Mais, pour contenter notre prochain, quand il nous témoigne de l’amitié, il lui faut des assurances plus considérables de la nôtre. O mon Dieu, mon tout, si on savait la facilité qu’il y a à vous aimer, chacun s’y exercerait.
Traité IV, II, I – ES I, p.106-107
- La voie des saints
Puis donc, mon Seigneur, que vous êtes véritablement la voie de tous les saints, faites de grâce, que nous y soyons toutes. Que nous soyons toujours prêtes à vous suivre avec douceur et humilité de cœur, dans tous les événements, sans que nos passions nous en détournent. On en sentira peut-être, d’abord, de légers soulèvements. Mais cela n’est rien. Il ne s’en faut point mettre en peine, pourvu que la volonté n’y prenne point de part.
O créatures qui êtes plus dans le Créateur qu’en vous-mêmes puisqu’on voit plus en vous et son image et sa voie, que vous êtes heureuses de porter en vous la vie du Sauveur ! C’est là n’être plus vous-mêmes. “Je ne vis plus en moi, disait saint Paul, mais c’est Jésus qui vit en moi”(cf. Ga 2,20). Et ainsi, c’est dans la voie de son Seigneur qu’il s’est rendu saint. Mon Seigneur, vous êtes en effet si saint que je ne voudrais voir qu’en vous la sainteté puisqu’aussi bien la vôtre est celle de tous les saints, aussi votre Père la regarde-t-il elle-même en eux et il la regarde comme l’ouvrage de vos mains.
Pourquoi donc ne la regarderons-nous pas aussi ? O voie de la sainteté que vous êtes peu connue ! (…)
D’où vient ce malheur sinon que l’on n’imite pas le saint des saints ! On vit en soi, dans ses humeurs, dans ses pensées, dans ses désirs, dans sa chair ; et, vivant de la sorte, Jésus-Christ est comme mort en nous. Voilà aussi pourquoi il se voit si peu de saints et de saintes parmi les chrétiens, eux cependant qui le devraient tous être.
J’aurais bien envie, mon Dieu, de vous dire que, pour votre gloire, je voudrais être sainte. Mais j’aime mieux vous laisser à vous-même cette volonté pour n’avoir que celle de me tenir perdue en vous et que vous fassiez de moi ce qu’il vous plaira.
Traité IV, III, II – ES I, p.110-112
- Un oeil arrêté sur Dieu
O mon Dieu, un oeil arrêté sur vous nous doit suffire dans le monastère. Une femme du monde, dans son ménage, met volontiers la main à tout : il lui suffit de voir celui qu’elle aime, de penser que c’est pour lui qu’elle agit. Et, par là, elle regarde plus en lui son action qu’elle ne la regarde en elle-même. (…)
Je m’en va, tout à l’heure, tiller du chanvre.(…)Je vais faire cela comme vous appartenant et je vous regarderai dans cette petite action. Cette vue m’y préservera de l’inutilité des pensées et elle sera cause que je la ferai avec plaisir et pour honorer particulièrement votre douceur. Car c’est la vertu que j’ai choisie ce matin, dans vous-même, pour m’y exercer durant ce jour.
Traité IV, V, I-II – ES I, p.119-120
- Sortir de soi…
J’ai souvent été instruite et assurée par une lumière d’en-haut qu’il vaut mieux nous tenir auprès des perfections de Dieu que de nos imperfections. Je veux dire : nous appliquer à la considération des unes plutôt que des autres et qu’ainsi il est beaucoup mieux de sortir de nous-mêmes que de nous y arrêter, quelque bon prétexte que nous en saurions avoir. Je l’ai bien reconnu par ma propre expérience. Car, ayant jeté les yeux, par exemple, sur la douceur du Fils de Dieu, elle a plus réprimé ma colère que n’eussent pu le faire tous les efforts que j’aurais fait pour cela sans la même vue.(…)
On dit communément que l’exemple prêche et persuade plus efficacement que la parole. Quel exemple plus parfait et plus pressant saurions-nous avoir devant les yeux que vous-même, mon adorable Sauveur ?
Traité IV, VII, II-III – ES I, p.129
- Il voulait entrer en alliance avec moi…
Pendant mon séjour à Sainte-Catherine, je m’arrêtai un jour pour quelque raison auprès du poêle commun où l’on se chauffait, en attendant que la communauté fût entrée au réfectoire pour le souper et qu’on l’eût servi. Là, j’eus, tout à coup, une présence de Dieu toute extraordinaire, comme s’il eût été pour m’unir à lui. En effet, il me fit entendre qu’il voulait entrer en alliance avec moi, à quoi je consentis de toute ma volonté. Mais, en même temps, il me fit voir qu’il me fallait entièrement quitter et m’oublier moi-même pour ne plus penser qu’à lui et que lui, en échange, prendrait de son côté un soin particulier de moi.
Je demeurais ensuite quelques jours dans un très grand recueillement, comme s’il eût voulu m’apprendre dès lors cette leçon : que je ne devais plus demeurer en moi, mais en lui-même et en lui seul, par une confiance filiale et respectueuse.
Cela m’a, depuis, souvent portée à des regards d’union de moi avec lui, comme si je me fusse quittée moi-même et ce que je faisais alors, pour le lui mettre entre les mains, en ne me réservant que le soin de le regarder, comme pour l’obliger à agir pour moi.
Il y a en ceci plus de choses à dire que je ne le puis exprimer et je crois que la volonté y agit plus que l’entendement. De sorte que, quand l’alliance de l’âme avec Dieu est accomplie, c’est principalement à la volonté de l’entretenir et de la conserver, sous les conditions qui y ont été mises, par une pleine soumission de sa liberté à celle de son adorable Bien-Aimé. “O liberté sainte, m’écriais-je quelquefois, qui nous vient du renoncement à la nôtre ! O bienheureuse captivité où elle nous réduit, bienheureux liens, bienheureuses chaînes que celles qui nous engagent dans cette divine liberté ! Oh qu’il fait bon là et qu’il y a un riche trésor ! Trésor qui n’est rien moins que Dieu même, Dieu, dis-je, regardant la créature comme son unie (…)
Oh que ceux qui ont le bonheur et la gloire d’être du nombre de ceux qui (lui) sont unis d’une manière spéciale sont obligés à de grands devoirs, mais surtout, il faut qu’ils portent en eux-mêmes la vraie image et ressemblance de son Fils.
Traité VI, III, I-III – ES I, p.183-184
- “Mon Tout en toutes choses”
Je confesse que cette dépendance universelle de Dieu, où je me suis mise, m’a tellement aidée que je ne le saurais assez dire. Si bien que je lui ai dit quelquefois, avec élan : “Vous êtes mon Tout en toutes choses”. Il est même cause qu’allant de nuit par la maison, je ne me soucie point d’aller dans lumière parce qu’alors je le regarde comme ma lumière et cette lumière me suit. Que si Dieu m’aime et me sert, en quelque façon, jusque là, combien l’a-t-il fait dans d’autres rencontres ? Mais, hélas, Seigneur, je ne vous ai pas toujours laissé faire !
Car, combien de fois ai-je voulu travailler par ma propre industrie, par amour propre, par empressement et par suffisance ? Cependant, je n’ai jamais été plus pauvre. Non, certainement, on ne saurait jamais l’être davantage que d’agir par sa propre industrie, en croyant être quelque chose de soi-même.
Traité VI, IV,II – ES I, p.187
- Dieu…un amour simple
Je crois que c’est cette alliance d’union avec Dieu qui a été cause que j’en ai souvent senti des attraits bien particuliers. Entre les autres, comme un jour de la fête de la sainte Trinité, (je pense que ce fut en 1624, le 2 juin) on nous lisait au réfectoire quelque chose sur ce mystère, je fus si fort tirée hors de moi-même qu’on fut contraint de me porter sur le lit. J’y passai quelques heures dans une plénitude d’union si intime avec Dieu qu’il me semblait que j’étais dans l’union même du Père, du Fils et du Saint Esprit. Là, on entend des choses que l’on ne peut expliquer, de cette Trinité en unité. Depuis lors, j’ai plus affectionné la simplicité, par la connaissance qui me demeura qu’en cette unité de Dieu, il y a une simplicité qui est la beauté et la perfection de l’unité et, dans cette même beauté de la simplicité de l’unité, il y a un nom qu’on ne saurait expliquer. Vous êtes, Seigneur, un acte pur, un amour qui produit incessamment divers effets d’amour, et qui est en soi, un amour simple, une bonté, une miséricorde, une justice, et tous les autres attributs qu’on vous approprie et qui sont dans la simplicité de l’unité. O Dieu Trine, O Dieu Un, que la simplicité est belle et charmante en vous, vu qu’elle est comme la beauté de votre unité.
Traité VI, IV, I ES- I, p.191
- Toujours en Lui
Dieu est en tout lieu, sans occuper aucun lieu. Je vois qu’il nous faut être toujours en lui, quelque part que nous soyons. Qu’il soit le lieu continuel de notre demeure.
Traité VI, IV (bis) III, – ES I, p.193
- Il vient tout divin en nous
Je n’ai jamais eu aucun doute de la vérité (du Sacrement de l’Eucharistie) et une pensée que j’eus un jour m’y a encore plus fortement affermie. C’est que, chérissant nos sœurs au point que je le fais, si j’étais assez puissante pour me trouver un même jour tantôt à Grenoble, tantôt à Vienne, et dans tous nos monastères, je ne laisserais passer aucun jour sans m’y rendre, pour les voir et les saluer, et cela seulement pour l’amour tendre que j’ai pour elles. Mais mon impuissance m’en empêche absolument. Il n’y a que Dieu – qui est tout-puissant, et aussi grand en amour qu’en puissance, qui est même tout amour pour nous – qui vienne en nous par sa puissance, après qu’il s’est comme anéanti par son amour dans la sainte Hostie, afin de s’unir plus intimement à nous. Cela m’a fort confirmée dans la créance que ce sacrement est un sacrement d’amour et que Jésus-Christ y est expressément pour se donner et s’unir à nous.. (…)Il vient lui-même par lui tout divin en nous, afin de nous rendre nous-même divins en lui.
Traité VII, II, IV-V – ES. I, p.199
- Simplicité du Père, du Fils et de l’Esprit
Je me suis toute dédiée à m’examiner sur la simplicité.(…) Il se trouve heureusement que c’est le dimanche jour de son éclat dans la divine Trinité. Car le Père éternel est simple, son Fils unique l’est aussi et, par une simplicité non pareille, il laisse aux Juifs le pouvoir de le clouer à la croix. Le Saint Esprit est pareillement simple. Nous le voyons par la colombe sous laquelle il parut sur Jésus-Christ après son Baptême.
Première retraite ES II, p.99
- Simplicité et vérité
Dieu est simple en lui-même, et d’une simplicité que nous ne pourrons jamais comprendre. Et, parce que la vraie simplicité dépend de Dieu qui est la vérité même, ceux et celles qui le veulent servir vraiment et se rendre parfaitement agréables à lui, ne cherchent qu’à marcher dans la vérité.
Entretien spirituel, II, IV – ES II, p.10-11
- Tout est aisé à ceux qui aiment
Je finis par vous conjurer de tenir votre esprit dans la disposition continuelle de simples enfants. Cela est dur, à la vérité, aux personnes qui sont sages à leurs propres yeux et qui, à cause de cela, ne se peuvent humilier. Oui, sans doute, cela leur est dur, mais tout est doux, tout est agréable, tout est aisé aux doux et humbles de cœur, à ceux qui aiment Dieu.
Entretien spirituel, VII, VI – ES II, p.50
- Comme l’émail de la vérité
La simplicité n’a ni déguisement, ni prétexte, ni respect humain, ni regard de soi-même, ni crainte de n’être plus dans la bienveillance de quelqu’un si on le reprend de ses défauts. Elle ne s’amuse point aussi à faire ces vaines réflexions : “Que me dira-t-on, si je fais-ceci ? Que pensera-t-on de moi, si je dis cela ?” Elle ne se laisse pas non plus aller à ces curiosités superflues : ”Pourquoi nous-commande-t-on une telle chose ? Ou, pourquoi me défend-on cette autre ?” La simplicité est l’embellissement et comme l’émail de la vérité. Plus la simplicité nous possède, plus la prudence nous conduit. “Soyez prudents comme les serpents, nous dit le Sauveur, mais soyez tout ensemble simples comme les colombes “. (cf Mt 10,16) (…)
Cette vertu ne veut être revêtue, pour ainsi parler, c’est-à-dire, ne veut être couverte ou mêlée de rien qui sente la terre. Il faut que la multiplicité en soit entièrement bannie et écartée et que l’unité soit, au contraire, inséparable de la simplicité. Il la faut pratiquer jusqu’aux moindres choses.(…) Il semble, en effet, que la simplicité ne s’attache qu’aux petites choses, tant elle a l’œil sur tout. Celui qui craint Dieu, et qui à cause de cela, est un véritable sage, ne néglige rien, dit la Sagesse même.
Traité de la simplicité I, I-II – ES, II p.52-53
- L’abîme de la simplicité
Mon Dieu, que la simplicité retranche de multiplicités dans notre esprit ! Elle est comme un abîme où se perd et s’anéantit tout ce qui n’est pas de Dieu en nous. Il faut seulement s’y abandonner et s’y tenir, puis laisser faire à Dieu. Car il nous changera cet abîme-là en un abîme de grâces.
Traité de la simplicité I, VI -ES II, p.55
- Dans la divine charité de Jésus
Il faut s’abîmer tout à fait dans le Sang précieux de Jésus crucifié avant que de corriger personne, afin d’y puiser la charité avec laquelle cette action doit être accomplie. Il faut même se cacher si profondément et s’attacher si fortement à la divine charité de Jésus qu’on ne nous trouve jamais hors de là et que rien n’ait le pouvoir de nous en tirer et de nous en séparer, ni l’enfer, ni la chair, ni le monde ( Cf. Rm 8,38-39).
Traité de la simplicité I, XII – ES II, p.59
- La simplicité, une bénédiction accordée aux humbles
La simplicité…Il faut beaucoup regarder Dieu avec humilité et il nous la communiquera. C’est une bénédiction qu’il départ aux humbles de cœur. La simplicité a cela de propre et d’avantageux que, qui l’aime, qui la souhaite, la trouve extrêmement secourable, elle lui donne de la force dans le besoin ; elle prend d’abord dans elle-même toutes les multiplicités de pensées et de mouvements qui nous voudraient surprendre, et retranchant en nous tout ce qui est de nous, elle nous anéantit dans elle-même.
C’est là que se trouvent les communications du Saint Esprit qui aide, qui éclaire, qui conduit, si on s’abandonne bien au désir de la simplicité. Il faut enfin beaucoup désirer cette vertu car elle porte toutes les autres avec elle-même.
Première retraite -ES-II, p.98
- Simplicité aimable et délicieuse
O jour heureux de la Trinité qui a fait une si grande merveille dans la Maison de nos soeurs d’Annecy ! (…) vous n’y trouvez qu’un profond silence. Pourquoi ? Parce que les soeurs y goûtent l’aimable et la délicieuse présence de leur bonne et bien-aimée mère, la simplicité. Si vous demandiez à quelqu’une d’elles : »A quoi pensez-vous, ma sœur ? »-« Je suis, vous répondrait-elle, autour de l’Agneau de Dieu. Je goûte ce qu’il a fait pour moi et je considère le peu que je fais pour lui. Je ne puis assez dire qu’il gagne mon cœur. Je me sens comme affamée de faire sa volonté et de lui plaire. Mille et mille fois, je m’abandonne pour cela à la simplicité.
Première retraite -ES -II, p.125
- Il mettra votre esprit en repos
Allez représenter vos dégoûts, vos ennuis, vos peines au tout aimable et bon Jésus. Exposez-lui tous vos mouvements les plus imparfaits. Mais, ensuite, tenez-vous en silence pour le laisser parler à votre cœur et soyez sûr qu’il mettra votre esprit en repos, en vous disant des paroles de consolation et de paix, et qu’il vous établira dans une entière disposition à sa volonté.
Traité de la simplicité I, XV – ES II p.60
- La tiédeur : une misère !
La tiédeur dans la vertu est l’une des misères qui accompagnent la créature. Oh qu’elle fait de ravages dans les communautés ! Tiédeur, dis-je, à se procurer l’assiduité à la présence de Dieu. Tiédeur à animer ses actions de la vie intérieure, qui est Dieu même, et à rendre sa vie une expression de celle de Jésus-Christ. Tiédeur à entretenir une tendre affection pour le prochain, sous prétexte qu’il fait des manquements, quoique nous en fassions un bien plus grand de nous refroidir à son égard. Tiédeur à regarder les desseins de Dieu dans nos petits maux, en y cherchant plutôt du soulagement, ou par le sommeil, ou par quelque autre secours, au lieu de donner premièrement à Dieu quelque acte intérieur, comme de dire à Notre Seigneur : ”O Amour, vous avez souffert pour moi avec tant d’amour ! Prêtez-moi, je vous en conjure, ce même amour afin que je souffre volontiers (littéralement : avec plaisir) pour vous”. Tiédeur encore à entreprendre de (…) ne plus se plaire qu’autour de Dieu et avec Dieu.
Traité de la simplicité II, XV, -ES II, p.68
- Dieu se mire dans l’âme qui pardonne
Oh que la tendre charité conservée envers les ennemis est agréable à Dieu ! Suivons fidèlement la lumière qui nous porte à la conserver dans nos cœurs. Il y a là des richesses inexplicables. Dieu se mire, si on peut se servir de ce terme, dans l’âme qui pardonne de bon cœur, c’est-à-dire qu’il la regarde et qu’il s’y regarde lui-même avec complaisance.
(…) Si je disais: ”Je pardonne de bon cœur à cette sœur, mais je me souviendrai toute ma vie de ce qu’elle m’a fait. Je ne lui veux point de mal, mais je n’oublierai jamais ce trait-là”. Puis que je me mette à raconter toute l’affaire qui se sera passée il y a peut-être dix ans, avec autant de chaleur qui si elle était arrivée seulement aujourd’hui…Je suivrais bien la lumière que Dieu me donnerait, de pardonner, mais je ne la suivrais pas dans toute son étendue et selon le commandement exprès de Dieu même, de pardonner à nos ennemis. Quand une fois, on a pardonné, on doit tout oublier et ne plus parler du passé. “C’en est fait, faut-il dire, j’ai pardonné”. Serions-nous bien aise que Dieu se souvînt de nos péchés ? Considérons bien la grande conséquence de ce pardon. “Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés “(Mt 6,12). O parole sortie de la propre bouche du Fils de Dieu, que vous êtes digne d’être prisée ! Après cela oserais-je regarder froidement une personne qui m’aura désobligée, puisque j’espère que Dieu me regardera de son oeil de miséricorde. Oserais-je me piquer de quelque parole qu’on m’aura dite à la volée et sans dessein de me choquer ou de me fâcher ? Ah j’y prendrai soigneusement garde et je n’aimerai point mon cœur jusqu’à ce qu’il se soit réduit à aimer tendrement la personne qui me l’aura dite. Je le puis. Pourquoi donc ne le ferai-je pas ? Ainsi, je lui rendrai quelque service, je lui parlerai dans les rencontres, je dirai du bien d’elle, je prierai Dieu pour elle. Oui, mon cœur, il vous faut prendre ce parti, il vous en faut venir là. Il faut aimer cette personne avec tendresse, et comme nous-même.
Première retraite ES II p.93
- Tenir ses actions unies aux actions du Fils de Dieu
Il y a dans notre Congrégation une sœur (elle demeure à Marseille où je crois qu’elle est présentement supérieure) qui n’a point d’autre exercice de piété que de tenir ses actions unies aux actions du Fils de Dieu. Cet exercice est d’autant plus excellent qu’il désapproprie, qu’il vide entièrement l’âme d’elle-même et qu’il fait qu’on se porte insensiblement à tout ce qui est de plus parfait. Soyez donc, mes sœurs, des images ressemblantes à Jésus-Christ. La simplicité vous y convie ; elle vous porte même à vous défaire de tout ce qui n’est pas Jésus-Christ en vous, c’est-à-dire qui n’en porte pas la ressemblance et ne le représente pas.
Première retraite, ES II, p.110-111
- …perdue en Dieu
Cette vertu nous porte à une perte entière de nous-même en Dieu.
Je reviens maintenant à la sœur que eue jusqu’ici en vue : j’entends celle qui se donne tout de bon à la simplicité. Si vous voyiez son intérieur, vous la verriez toute perdue en Dieu. C’est là que la simplicité la retient ; là qu’elle la fait rentrer quand elle en sort ; là qu’elle lui fait goûter combien le joug du Seigneur est doux et combien son fardeau est léger. C’est là encore que son heureuse perte en Dieu s’augmente de plus en plus. C’est là enfin qu’elle éprouve que Dieu est son Père et que, pour comble de bonheur autant que de gloire, toute l’adorable Trinité réside en elle. Ainsi, tantôt elle s’abîme dans sa grandeur, tantôt elle se répand en louanges pour sa bonté. D’autres fois, elle goûte, dans ses souffrances la patience du Sauveur, et par ce moyen, elle reprend courage, vigueur et confiance. Elle voit qu’elle n’est créée que pour aimer Dieu et elle ne cesse aussi de l’aimer. Laissons-la donc, cette heureuse Bien-Aimée du divin Amant et ne la tirons pas de son délicieux sommeil (Cf. Ct 2, 7).
Première retraite, ES .II p.122-123
- Un coeur nouveau
M’étant sentie comme ennuyée, durant le chant de l’hymne “Stabat Mater dolorosa”, de ce qu’il se faut toujours rendre et appliquer aux mêmes exercices, ces paroles d’un psaume me sont venues dans l’esprit : ”Chantez au Seigneur un cantique nouveau” (Ps 97,1). Et j’ai compris qu’elles nous sont adressées pour nous faire concevoir que nous devons apporter un cœur nouveau à chaque exercice de dévotion, comme si nous ne faisions que commencer. Oui, nous y devons apporter un cœur nouveau. Car, encore qu’il nous soit dit dans notre office de chanter un cantique nouveau, c’est toujours le même psaume. Notre Seigneur nous fait donc entendre que c’est avec un cœur nouveau qu’il le faut chanter, c’est-à-dire avec un cœur entier, un cœur présent, un cœur attentif, un cœur qui se sent honoré de rendre ses hommages à Dieu. Comme je tâchai de rendre tel le mien, mon ennui se dissipa. Voici, Seigneur, mon cœur nouveau. Rendez-le toujours plus nouveau et je chanterai vos merveilles, non seulement à l’office, mais encore en tous mes autres exercices de piété et même dans toutes mes peines.
Seconde retraite, ES II, p.130
35 Une croix parsemée de pierres précieuses
Comme je me fus mise à genoux dans le choeur, devant le Saint Sacrement et que je commencai ma pénitence, je me vis tout à coup comme toute nue spirituellement devant Dieu et toute dans le néant de la créature. J’en frissonnai de frayeur. Puis, levant les yeux tout en haut, je vis au-dessus de moi, d’environ la hauteur d’une personne, une grosse croix qui me paraissait fort pesante. Elle était toute parsemée de pierres précieuses qui cachaient leur éclat au-dehors et le resserrait au-dedans.
Curieuse de savoir qui soutenait cette croix que je voyais suspendue devant moi, je jetai plus haut ma vue et j’aperçus que c’était le Fils de Dieu lui-même. Il me fit entendre qu’il me la présentait. Toutefois, je ne me sentis point mue à la prendre. Aussi ne l’eussé-je pu : elle était trop élevée. Je ne fis que me tenir dans un profond respect tant que dura cette apparition qui ne fut pas plus d’un Ave Maria. Au moins, il me le semble. Car le temps ne dure point dans ces sortes d’événements.
Je ne sais si je pourrai maintenant bien exprimer les diverses lumières que j’eus alors sur toutes les particularités de la même vision. Je vais pourtant essayer de le faire, le mieux qu’il me sera possible. (…)
Quant à cette grande croix que je vis entre les mains de Notre Seigneur sans pouvoir la prendre entre les miennes, je conçus par là que je devais plus regarder les croix en Dieu qu’en elles ni en moi, que ce regard m’animerait et me fortifierait pour les souffrir de bon gré, tandis que, si je les regardais en moi-même, cette vue ne ferait que m’abattre le courage, que m’affaiblir, que m’aliéner de la souffrance.
J’appris aussi, du mouvement que j’eus alors de lever mes yeux pour voir qui soutenait cette même croix, que les afflictions et les peines nous servent de sujet et de moyen pour penser à Dieu, qu’elles nous sont de puissants motifs qui nous excitent à recourir à lui. J’appris aussi que c’est principalement parmi elles, et même par elles, qu’il s’approche de nous, qu’il se montre à nous et qu’il se réduit, pour le dire ainsi, jusqu’à les partager, jusqu’à les endurer avec nous. (…)
Je confesse que, depuis lors, j’ai reçu des aides toutes spéciales dans les croix qui me sont survenues, en les regardant ainsi, entre les mains de Notre Seigneur. Je puis même assurer que je n’ai jamais recouru à lui dans mes peines, qu’il ne m’ait donné le calme du cœur, par une paix intérieure si délicieuse que nul ne la peut comprendre sinon ceux à qui il fait cette faveur.
Mais il veut la fidélité de l’âme qui la reçoit, et une fidélité humble, pleine de reconnaissance. Ayons donc soin, dans les rencontre des croix, de recourir à Dieu promptement et en toute confiance, comme un enfant recourt à son père dans les périls. Levons nos yeux vers lui. Regardons-le et nos peines aussi en ses mains. Prosternons, humilions devant lui tous nos mouvements imparfaits et demeurons en sa présence, dans un silence respectueux. Il nous aidera alors, lui-même et les peines se changeront devant sa face en pierres précieuses, quoiqu’on ne voie qu’obscurité au-dehors.
Texte cité dans la “Vie” p.67-73
- Unie à l’offrande de Jésus
Votre devoir tout particulier est d’aimer la divine humanité du Sauveur qui a été crucifié pour nous et vous devez, chacune, être l’image de Jésus en croix.(…) Point de voie ne nous tient si abandonnées à l’esprit de simplicité, que de demeurer unies à l’holocauste de Jésus par l’holocauste de nous-mêmes. Car la mortification qui est le crucifiement de l’âme est inséparable de la simplicité. Et qui veut demeurer dans la simplicité doit être dans un continuel sacrifice de soi-même (…)
C’est à ce sacrifice de nous-même à la Croix qu’est attaché le vrai et propre bonheur des Filles de saint Bernard. On représente communément ce saint avec les instruments de la Passion qu’il embrasse et dont il dit lui-même qu’il s’était fait un bouquet de myrrhe qu’il portait sur son cœur, pour nous apprendre que cette aimable Passion faisait ses plus chères délices, qu’elle était sa bien-aimée et que son esprit demeurait continuellement attaché à la Croix, comme en faisant la principale partie. Ce qui nous indique aussi que c’est principalement notre esprit qu’il faut crucifier, Dieu demandant principalement le cœur, c’est-à-dire l’intérieur. Oui, il faut que les Filles de cet amant passionné de votre Croix aient pour elle un amour singulier (…)
Aucune voie ne nous tient si abandonnées à l’esprit de notre institut, qui est l’esprit de simplicité, que de demeurer unies à l’holocauste de Jésus par l’holocauste de nous-mêmes. (…)
Rien ne nous tient l’âme plus nette et plus pure que cette même vertu. Elle porte avec elle des trésors inexplicables. Elle ne veut rien que Dieu.
Le vrai livre de la simplicité, c’est Jésus-Christ. Il la faut voir et comme lire en lui-même et lui abandonner toutes nos multiplicités. (…) ç’a été dans cette pensée que j’ai répondu à cette bonne Mère (Claude-Thérèse de Buissonrond) que je lui donnais Notre Seigneur pour son Livre de Simplicité, que lui-même nous le doit enseigner et imprimer dans nos cœurs.
Soyez donc, ô mon Jésus, ce livre, soyez le livre où nous fassions tous les jours la lecture de ce que vous désirez de nous, où nous apprenions notre leçon que nous retenions fidèlement, où nous découvrirons vos desseins sur nous pour les suivre, où nous prenions la force de faire ce que vous nous enseignerez. Oui, mon Dieu, soyez-vous-même ce livre. Que votre amour et la simplicité de votre amour en soit l’auteur.
Texte cité dans la “Vie “p.304-308
- Prosternée devant Dieu
J’eus ce mystère (de l’adoration des mages) fort présent dans ma méditation du matin ; et m’y étant particulièrement arrêtée à considérer comme ces trois princes prosternèrent devant l’Enfant Jésus et leurs personnes et leurs présents, j’en tirai cette lumière que c’est un acte de vertu très agréable à Dieu de prosterner intérieurement devant son Fils tout ce qui est de nous et à nous, soit bon, soit même mauvais. Il semble quelquefois, qu’à cause que l’œuvre que nous entreprenons est bonne, nous faisons bien de nous y porter avec empressement. Mais il est mieux, sans doute, de la prosterner devant Dieu et de la regarder ainsi abaissée en sa présence, avec soumission. Pourquoi les mages prosternèrent-ils leur or, leur encens, leur myrrhe ? Tout cela était des choses si précieuses ! Et néanmoins, le voilà tout prosterné devant Dieu, petit Enfant. De là, j’appris que, quand nous faisons de même, nous obligeons Dieu à nous favoriser de son secours et même à travailler avec nous à l’œuvre que nous voulons faire.
Depuis lors, je me suis toujours conservée dans cette disposition : qu’il faut désirer que Dieu agisse plus que nous dans l’œuvre où nous nous appliquons et que son Esprit y ait beaucoup plus de part que le nôtre. A la vérité, nous pouvons bien désirer faire des bonnes oeuvres, mais peut-être nous y recherchons-nous, nous y regardons nous plus nous-mêmes que Dieu ; peut-être que nous les voulons principalement pour nous satisfaire. Voilà pourquoi, afin de nous préserver de ce manquement, désirons beaucoup en cela la volonté de Dieu. Désirons le lui-même dans l’œuvre, et non l’œuvre pour nous. Nous le ferons si, au lieu, par exemple, de désirer la multiplication de nos maisons, nous prosternons ce désir devant notre Seigneur. Si nous y prosternons aussi la multiplicité de nos regards et que seul le regard de Dieu nous demeure pour partage, que notre affection et notre intention y soit toute. Par ce moyen, nous éviterons tant de mélanges de paroles, d’adresses, d’inventions, d’artifices, et d’autres voies purement humaines et quelquefois peu sincères dont on se sert pour réussir dans ses entreprises. Dieu veut que nous travaillions aux oeuvres qui regardent son service sans user ni de subtilité accompagnée de finesse, ni de détour inséparable de déguisement, ni de telles autres misères de l’esprit humain que nous voudrions mêler avec le divin. Quoiqu’on arrive quelquefois, par leur moyen, à des éclats et des apparences de vertu, le principal manque, à savoir le fond même de la vertu. Il vaut mieux faire peu de chose et demeurer dans la sincérité.
Texte cité dans la “Vie” p.441-443
- Face à la réussite d’autrui et à l’échec personnel
Je prie (Dieu) de faire réussir les desseins des autres. Je me fais violence pour cela. Je fais des actes de charité à leur égard et je m’efforce de me tenir dans la droiture du cœur.(…) Servons-nous de ces rencontres pour nous élargir d’autant plus en Jésus-Christ que le monde nous rétrécit davantage.
Texte cité dans la « Vie » p.445-447
- Cette divine présence de Jésus…
Je ne regarde point Jésus dans aucun mystère. Je le regarde simplement en lui-même par une simple vue. Je ne le considère pas non plus, dans aucune de ses perfections, mais tel qu’il est personnellement, Dieu et homme tout ensemble; et dans cette considération, il m’est une manne céleste. Que si néanmoins, je veux quelquefois le contempler dans sa naissance, dans sa conversation avec les hommes, dans sa passion ou dans quelqu’autre de ses mystères, il est plus prêt et plus prompt à me le faire goûter que je ne le suis à m’y appliquer. Mais il est toujours Jésus en lui-même.
Il faut que je confesse la vérité : je voudrais mourir d’amour pour lui. Je me sens à cette heure toute en feu. Si la chaleur de l’été y contribue, c’est bien aussi cette divine Présence de Jésus regardé en lui-même. O Vérité éternelle, que vous êtes peu connue ! O Bonté éternelle, que vous êtes peu aimée ! O Dieu d’amour, amour, amour ! Que ce feu m’embrase sans cesse ! Qu’il me consume intérieurement ! Que ce soit la fièvre lente qui m’ôte la vie.
Vie p.547-548
- Ne vivre qu’en Jésus
Un autre jour, à peine fus-je entrée dans ma chambre, que j’eus un reproche de Notre-Seigneur, comme un trait qui passe, mais qui laisse l’âme humiliée dans la connaissance de ses fautes et le désir de s’en corriger. Il me fit voir que je m’étais égarée de l’état de dénuement intérieur et extérieur où il m’avait mise avant que j’entrasse dans la réforme et que cet égarement était venu de ce que j’avais quelque désir de m’arrêter en ce lieu de Cavaillon. Tant il est vrai qu’il faut peu de chose pour nous détourner de cette voie-là.
Il est vrai que trois motifs m’avaient inspiré ce désir. Le premier, que n’ayant point rencontré d’air aussi favorable à ma santé, j’aurais le moyen de suivre en tout le train de la communauté, principalement pour le choeur, vu que ce m’est une singulière consolation d’y pouvoir assister et que je n’ai point de plus grand plaisir que d’employer à cela mon peu de santé. Le second motif, que cette ville étant un lieu de fort grand passage, j’y pourrais voir, de fois à autre, un Père en qui j’ai beaucoup de confiance, me consoler avec lui dans mes petites croix et lui faire l’ouverture de mon cœur, ce qui n’est pas un petit soulagement dans cette pauvre vie. Enfin, mon troisième motif était que je serai ici moins connue et plus solitaire, comme plus éloignée de mon pays et de mes parents.
Mais, par ce trait de reproche, lequel dans moins de trois paroles passa fort doucement par mon esprit, j’entendis :
Point de santé et de maladie,
point d’air ni de lieu,
point de vie ni de mort,
point de créature ni de soi même,
point de désir d’être connue ou inconnue,
point de fuite ni d’arrêt.
Par le moyen de ces paroles qui me sont demeurées fort avant dans l’esprit, je me suis de nouveau dépouillée de tout cela, comme l’ayant abandonné à JESUS. Et ce doux Sauveur me fait entendre qu’il me veut être tout cela.
Oui, Jésus est mon air et mon lieu,
il est ma santé et ma maladie,
il est ma vie et ma mort.
Car il me fait mourir à tout et, dans cette mort, Jésus se trouve ma vie.
Mourons tous, mourons à toutes choses pour ne vivre qu’en Jésus. Les pusillanimes quittent un jour une chose et, un autre jour, ils en quittent une autre. Tout, dis-je, sans réserve de quoi que ce soit. Puisque Jésus est mon créateur, il vaut bien pour le moins la créature, quelle qu’elle soit. Tout unique qu’il est, il m’est toute chose.
L’effet principal qui m’est demeuré de cette douce réprimande, c’est un abandonnement si universel de moi-même à Notre-Seigneur qu’il ne me permet pas seulement de me réjouir, c’est-à-dire de m’arrêter volontairement au plaisir de l’attente de voir l’un de nos amis, d’aller à un monastère où l’on m’aura autrefois porté de l’affection, ou de quelque autre chose capable de nous faire suivre nos inclinations ou nos désirs propres. Tout m’est interdit, afin que je ne me plaise qu’en Jésus, qu’à l’aimer, qu’à être fidèle à l’abandonnement que je lui ai fait de tout moi-même et qu’à m’y tenir incessamment. Ah que ne puis-je voir chacun dans cet aimable abandonnement ! Il est vrai qu’il n’est que croix et que peu la veulent porter.
Vie p.548-550
- Le lieu où je m’arrête…
Je vous dirais, touchant l’extérieur, que je suis toujours infirme. Je ne m’éveille pas trois fois le mois, sans des maux de tête. Pour l’intérieur, je l’ai en paix, grâce à Dieu. Je ressens beaucoup le moindre mouvement, la moindre pensée, la moindre parole contre la charité. Je n’ai devant les yeux que celui que le Père nous a donné jusqu’à la consommation des siècles… Je n’ai mon affection ni à Marseille ni autre part. Dieu à qui je m’abandonne toute est le lieu seul où je m’arrête.
Lettre, citée dans la “Vie” p.520
- Toute seule en Dieu
Je goûte dans mon état présent d’inférieure un Seigneur qui m’a ravi le cœur, que seul je regarde, que seul j’aime. Il est bien temps que je quitte tout pour ne m’appliquer qu’à l’aimer et pour demeurer seule autour de ses perfections. Le Père éternel me l’a donné pour mon partage. Je n’ai que le regret de l’avoir tant offensé. Mais plus je l’aimerai, plus je viserai à l’honorer. Toute seule en Dieu, toute seule avec Dieu. Dieu, mon Tout en toutes choses. Si les créatures goûtaient mon bonheur, les rois même abandonneraient leurs états et ils viendraient tous, l’un après l’autre, se donner à Jésus, pour vivre en lui seul et pour ne posséder et ne vouloir que lui seul.
Texte cité dans la “Vie” p.526-527
- Tout doit être Dieu en nous
Etant un jour retirée dans ma cellule et assise à terre parce que j’avais laissé mon siège à Notre Seigneur, je fus saisie d’un vif ressentiment de mes défauts lequel m’arriva par une présence spéciale des anges (et des saints).
(…)
Il m’est depuis demeuré une connaissance singulière sur l’extrême importance qu’il y a d’animer nos actions d’une continuelle disposition intérieure au regard de Dieu. Les saints le faisaient avec une fidélité si exacte et si entière que c’est de là principalement que leur vie a été sainte. O mon Dieu, que ce sentiment que j’avais alors était vif et douloureux !
Oh que la vie intérieure est considérable ! Oh que les actions des chrétiens demandent d’être bien animées. Tout doit être Dieu en nous, comme tout était Dieu dans les saints
(…) Oh que nous rendrons à Dieu un grand compte de la vie intérieure ! Cette vie est la vie du cœur. Quel malheur, si nous la négligeons ! La négliger, c’est de faire ses actions par routine. Il faut donc leur donner la vie et les animer. Cela s’accomplit en les faisant à l’honneur d’un saint, d’un attribut, d’une perfection de Dieu, etc…
Texte cité dans la “Vie” p.559-561
- Dans l’union du Fils et du Père
Que nos renouvellements d’affection et d’union soient tout absorbés dans l’union du Fils de Dieu avec son Père Eternel.
Lettre de vœux, 7 janvier 1667 – ES II, p. 211
Bibliographie
La Règle et les Constitutions des Religieuses de la Congrégation de S. Bernard, ordre de Cisteaux.
Coustumiers et Directoire des Religieuses de la Congrégation Sainct Bernard, ordre de Cisteaux tous deux à : A Lyon, chez la veuve Muguet et son fils Pierre Muguet, 1648.
BALLON Louyse de, Ecrits spirituels. Réimpression anastatique des « Œuvres de piété » recueillies par le Père Jean Grossi, Paris, Nicolas Couterot, 1700. Introduction par le Père Edmond MIKKERS, ocso, Monastère N.-D. de Géronde, CH 3960 SIERRE, 1979.
BALLON Louyse de, Directoire journalier pour les religieuses réformées de Sainct Bernard de la Divine Providence, A Aix, par Estienne David, MDC.XXXVI. Copie manuscrite à Collombey, polycopié, hors commerce.GROSSI Jean, La vie de la vénérable Mère Louise Blanche Thérèse de Ballon, (…) Annecy, chez Humbert Fontaine, M.DC.XCV, 592 p. Réédition (abrégée) dans la Bibliothèque Cistercienne 2e série, Lérins, 1876, 2 vol.
G., Myriam de, Louise de Ballon, « Dérobée et retrouvée », Réformatrice des Bernardines, Préface du R. P. Garrigou-Lagrange, O.P., Paris, 1935, XXXVIII + 560 p. Cite de nombreux textes.
DUMONT Charles, La simplicité comme principe de réforme chez la Mère Louise de Ballon, Collectanea Cisterciensia, tome 41, 1979/1.
GUERRIER Alain, Quatre itinéraires de réforme, en France au XVIIe siècle, « Cîteaux et les femmes », Editions Créaphis, l’école de filles, F-26400 Grâne.
GUERRIER Alain, Bernardines, dans Guide pour l’histoire des ordres et des congrégations religieuses en France, XVIe – XXe siècles, sous la direction de Daniel-Odon HUREL, Turnhout, Brepols, 2001, p. 86.
HUOT François, La Congrégation de saint Bernard, Ordre de Cîteaux, ou Bernardines réformées, dans Helvetia Sacra, nouvelle édition, section III, Cisterciens, Berne, Francke Verlag, 1982.
LATTION Marie-Bénédicte, Sr, Avec Louyse de Ballon, habiter les écrits de saint Bernard, Cahier de l’association œcuménique des Amis de Saint Bernard de Clairvaux en Suisse Romande, 2008. A lire dans ce site sous le titre « Bernard de Clairvaux ».