L’église surprend : nef romane, dotée de cinq arcades, édifiée au XIe siècle, chœur gothique, plus vaste que la nef, ajouté au XVe siècle, voûte baroque posée sur la nef romane au XVIIIe siècle… Sous le dallage se cachent les fondements d’églises antérieures, datant des Ve et VIIe siècles, édifiées sur un site habité dès les temps préhistoriques.
L’église de Géronde
Les stalles du chœur ont été sculptées vers 1430, les vitraux réalisés en 1965. Des styles divers, des retouches et des ajouts ! Et pourtant l’harmonie est là, née de la simplicité et de son alliance avec la lumière. Connue jusqu’en 1450 sous le nom de Saint-Martin de Géronde, l’église est ensuite placée sous le patronage de la Bienheureuse Vierge Marie.
Plus de quinze fois centenaire, l’église de Géronde est loin d’être l’édifice le plus ancien construit sur la colline. En effet, les premières traces humaines relevées sur le site datent du Néolithique (5000-2300 av. J.-C.), ce qui en fait l’un des plus anciens lieux habités connus dans la vallée du Rhône. Les terrains avoisinant le monastère n’ont jamais fait l’objet de fouilles systématiques, mais les objets mis à jour lors de divers travaux – plantation, construction, etc. – permettent de penser que la continuité existe entre la préhistoire et l’époque romaine. Au cours de celle-ci, Géronde semble avoir une certaine importance comme le suggèrent deux des stèles funéraires retrouvées sur le site, dédiées l’une à un magistrat, un duumvir, l’autre à une dame de rang sénatorial, une clarissima femina, nommée Modestina.
Vers l’an 500, construction d’une église rurale en bois
Au Vème siècle déjà, une église paléochrétienne, relativement vaste, est édifiée. Sa nef coïncide quasiment avec la partie basse de la nef actuelle; elle est prolongée, à l’ouest, par un narthex. Son chevet plat l’apparente à la troisième église édifiée à Martigny/Octodure selon un plan que l’on retrouve, à la même époque, en Dalmatie. Ses dimensions incitent à supputer l’existence, autour d’elle, d’une bourgade du Haut Moyen-Âge continuant une agglomération romaine de même importance. Antérieur à l’organisation des paroisses, ce sanctuaire apparaît comme l’un des lieux où les chrétiens de la région se rassemblent autour d’un missionnaire itinérant qui annonce l’Evangile et célèbre l’Eucharistie.
Cette première église est probablement construite en bois sur des bases maçonnées. Elle est remaniée au VIe siècle en vue de donner plus de place au sanctuaire, puis reconstruite en maçonnerie au VIIe siècle. Au-delà du chevet plat primitif, on édifie une abside et le sanctuaire reçoit une petite annexe avec absidiole, toujours visible dans le petit jardin au sud de l’église.
Ces divers aménagements témoignent d’une évolution de la vie liturgique probablement liée au fait que, dès avant le VIIIe siècle, Géronde devient un centre paroissial.
Au XIe siècle, construction d’une petite église romane
Au XIe siècle, l’église est rebâtie. Le narthex est supprimé. Mais on édifie un clocher et un bas-côté relié à la nef par cinq arcades dont l’existence fut découverte en 1970 seulement. De style roman, petite et basse, l’église du XIe siècle n’a pas de voûte, elle est recouverte d’une simple charpente, peut-être plafonnée. Le logis des desservants, sis un peu en contrebas et parallèle à la nef, est édifié, lui aussi, au XIe siècle.
Vers 1500, construction d’un grand choeur gothique
L’installation des carmes à Géronde, vers 1428, est préparée par quelques aménagements pour rendre l’église habitable. La façade ouest est rebâtie et la nef élevée jusqu’à sa hauteur actuelle. Cela exige l’exhaussement du clocher auquel on ajoute un étage, de style roman, ainsi qu’une flèche de maçonnerie qui trahit déjà l’influence gothique. L’église reste simple et austère. Mais elle peut s’enorgueillir de somptueuses stalles, sculptées vers 1425-1430, qui se trouvent aujourd’hui dans le chœur.
Les carmes vont s’éloigner de leur austérité primitive et ce changement se traduit dans l’église comme aussi dans leur habitat. Dans le dernier quart du XVe siècle, ils font édifier, en prolongement de la nef romane, un chœur gothique dont les dimensions surprennent. Il est possible d’y reconnaître l’œuvre de l’architecte – ou de l’école d’architectes – qui a édifié la cathédrale de Sion, l’église Saint-Etienne de Loèche et l’ancienne église de Vercorin. La mention de collectes de fonds présente dans les archives de l’évêché de Sion permet de situer vers 1480 le début de cette construction qui est terminée en 1505, comme l’indiquait le millésime 1505 inscrit sur l’un des vitraux brisés en 1799.
Dans le courant du XVIe siècle, on adjoint au nouveau chœur une vaste sacristie, une réalisation « signée » par la marque lapidaire d’un parent ou d’un disciple d’Ulrich Ruffiner. Les carmes posent aussi les bases d’un grand clocher… qui ne sera jamais édifié! Tout comme l’on ne verra pas la reconstruction totale de la nef ancienne qui semblait programmée. Les travaux vont se limiter à l’indispensable. Le bas-côté, peut-être en mauvais état, est démoli et les arcades romanes sont obturées
L’église, encore nommée Saint-Martin de Géronde en 1450 a très probablement été dédiée à Notre-Dame lors de la consécration du choeur gothique, vers 1500, car les jésuites, qui arrivent à Géronde en 1651, y trouvent un sanctuaire marial, devenu un lieu de pèlerinage réputé.
Le XVIIIe siècle apporte une touche baroque
Afin de mettre en oeuvre, bien tardivement, les décisions du concile de Trente (1545-1563), les évêques de Sion transforment Géronde en séminaire diocésain. Dès 1740, l’évêque Jean-Joseph Blatter (1734-1752) fait agrandir les bâtiments d’habitation.
En 1758, son successeur, Hildbrand Roten (1752-1760), met l’église au goût du jour en faisant construire, au-dessus de la nef romane, une voûte baroque. Il laisse son nom et ses armoiries – une grappe de raisin – au faîte de l’arc triomphal qui sépare les deux parties de l’église.
Guerres, saccages, réaménagements de fortune…
En 1799, les troupes révolutionnaires pillent et saccagent l’église et les bâtiments d’habitation. Les merveilleux personnages des stalles gothiques sont mis en pièces ou irrémédiablement mutilés. Les vitraux sont brisés, les tableaux lacérés, le mobilier abimé, les tombes profanées. En 1801, l’église peut être rendue au culte après une remise en état qui s’est limitée à l’essentiel.
Pourtant, si délabrés que soient les bâtiments, ils attirent à plusieurs reprises des religieux exilés en quête d’un refuge. Pendant tout le XIXe siècle, faute de résidents stables, les bâtiments sont mal entretenus et se dégradent.
A la fin du XIXe siècle, une nouvelle étape commence pour Géronde avec l’ouverture, en 1894, de l’Institut cantonal pour les enfants sourds-muets confié aux Sœurs de la Sainte-Croix d’Ingenbohl. En 1902, pour répondre aux besoins de cette institution, la nef de l’église est séparée du chœur par une cloison. Puis, en 1921-1922, on crée une division horizontale et un dortoir est aménagé à l’étage.
En 1935, arrivent des Cisterciennes/Bernardines, venues de Collombey. Les locaux aménagés pour l’Institut des sourds-muets sont adaptés à leurs besoins. Le rez-de-chaussée de la nef offre l’espace voulu pour loger un parloir et le chapitre. L’étage créé au-dessus devient une vaste tribune, vitrée à l’avant, qui sert de chœur monastique.
Restaurations, fouilles, découvertes…
La communauté doit attendre une trentaine d’années avant de pouvoir restaurer l’église. La première étape des travaux porte sur la partie gothique de l’édifice. Rendue à sa pureté originelle, celle-ci peut accueillir, en 1965, un autel de marbre, quatre vitraux et, surtout, les sœurs qui, désormais prient au centre de l’église. La deuxième étape portera sur la partie ouest de la nef que l’on disait alors « plus récente, baroque, datant du XVIII siècle ». La démolition des locaux utilitaires aménagés dans l’actuelle nef basse révèle la présence de cinq arcades romanes. C’est le coup d’envoi d’un chantier de fouilles qui permet la patiente reconstitution de l’histoire antérieure à 1500 totalement ignorée en raison de la dispersion et de la destruction des archives.
En 1980 un incendie ravage le monastère. Il détruit la toiture et les combles. L’eau déversée sur la maison cause d’importants dégâts et révèle aussi la vétusté des bâtiments. La restauration qui s’ensuit, rendue possible par un immense mouvement de solidarité envers Géronde, permet d’effectuer une enquête archéologique complète des bâtiments.
Ces travaux ne concernent pas l’église, épargnée de justesse par le feu. Par la suite, les façades et la toiture du chœur gothique, qui n’ont bénéficié d’aucune restauration au XXe siècle, vont apparaître de plus en plus marquées par les atteintes du temps. L’assainissement qui s’impose pour éviter des dégradations importantes est effectué en 2019. En même temps, les systèmes de chauffage et d’éclairage, tous deux inadéquats, sont remplacés par de nouvelles installations pour contribuer à faire de ce lieu un espace toujours plus accueillant à ceux et celles qui viennent s’y ressourcer.